— La culture du viol
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La culture du viol
Avril 2016 - crepegeorgette.com
Beaucoup de gens qui entendent pour la première fois, l’expression “culture du viol” sont choqués pour 4 raisons :
- Le mot culture est pour eux associé à des choses extrêmement positives ce que n’est évidemment pas le viol ; on pense par exemple au “ministère de la culture”. Bref il y aurait une sorte d’oxymore en rapprochant les mots “viol” et “culture”.
- Le viol est pour eux associé à un acte “barbare”, “inhumain”, “que seule une bête pourrait commettre”, il leur paraît donc choquant de rapprocher cela du mot “culture”.
- Comme le viol est sévèrement puni par la loi en France, ils ont du mal à comprendre qu’on puisse considérer qu’il y aurait une tolérance face au viol.
- Comme tous et toutes considèrent que le viol est une horreur et qu’ils ne connaissent personne qui légitime le viol, ils ne voient pas qui entretiendrait une telle culture.
Quelques chiffres :
Selon l’enquête Contexte de la sexualité en France (CSF) réalisée par
l’Inserm et l’Ined en 2006 à l’initiative de l’ANRS, 16 % des femmes et
5 % des hommes déclarent avoir subi des rapports sexuels forcés ou des
tentatives de rapports forcés au cours de leur vie.
Selon les enquêtes Cadre de vie et sécurité (Insee-ONDRP) 2010, 2011 et
2012, 83 000 femmes et 13 000 hommes ont été victimes de viol ou de
tentatives de viol. Les personnes interrogées sont âgées de 18 à 59 ans
et vivent en métropole ; le chiffre est sans aucun doute beaucoup plus
important si l’on compte les mineur-es.
11% des femmes portent plainte, le chiffre des plaintes pour les hommes
est “non significatif” (extrêmement bas donc).
- A propos de l’expression “culture du viol”
Les historiens Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker parlent, au
sujet de la première guerre mondiale, de “culture de guerre”. On
constate bien ici qu’on rapproche là encore deux mots qui peuvent
sembler antinomiques. Les deux historiens souhaitent simplement
représenter “la manière dont les contemporains se sont représentés et
ont représenté le conflit”. On peut donc parfaitement et simplement
appliquer cette définition à la culture du viol et se dire que
l’expression “culture du viol” désigne la façon dont on se représente
le viol dans une société donnée à une époque donnée.
- Comme le souligne Denys Cuche, “Rien n’est purement naturel chez l’homme. Même les fonctions humaines qui correspondent à des besoins physiologiques, comme la faim, le sommeil, le désir sexuel, etc.., sont informées par la culture : les sociétés ne donnent pas exactement les mêmes réponses à ces besoins”. Le viol n’est donc pas un comportement “animal” (terme qu’on emploie souvent pour qualifier un comportement “naturel”), “bestial”, “barbare”, “de personne non civilisée”, “de bête”. C’est en cela qu’il n’y a rien d’antinomique à rapprocher les mots “viol” et “culture”. Le viol est un comportement culturel ; cela veut dire qu’il est construit culturellement, qu’il n’est pas dû à une hormone, une pulsion, des testicules à vider ou que sais-je.
Partant de là comment peut-on définir la culture du viol ?
La culture du viol se définit avant tout par un grand nombre de mythes
autour du viol que nous partageons tous plus ou moins.
C’est un concept difficile à comprendre car nous sommes parallèlement
éduqués à voir le viol comme “la pire chose qui puisse arriver”
“l’horreur ultime” dont “on ne va jamais se remettre” ; on verra qu’il
n’y a rien d’incohérent là dedans et qu’on peut d’un côté entretenir une
parfaite tolérance quant au viol et de l’autre vouloir punir - du moins
dans la loi - ceux qui en commettraient.
- Le viol et toutes les violences sexuelles subis par les femmes sont
vus comme des phénomènes inéluctables qui seraient dus à la nature
masculine. C’est ainsi qu’on explique le viol en disant qu’un homme a
“eu des pulsions”, a “eu un trop plein de testostérone”, “n’a pas pu se
retenir” etc. On constatera pour autant que si vraiment le viol était
une histoire de pulsions impossibles à maîtriser, alors tous les hommes
sauteraient sur n’importe quelle femme à n’importe quelle heure du jour
ou de la nuit, même dans un lieu bondé. Or cela n’est pas du tout le
cas.
C’est une composante forte de la culture du viol de dire “qu’on ne peut
rien faire contre” en se fondant sur l’idée que les hommes ont un besoin
vital de sexe. On retrouve beaucoup cet argument dans les débat actuels
sur la pédocriminalité des prêtres que certain-es imputent à leur
célibat. L’argument me semble particulièrement dangereux ; si vous
considérez qu’un corps d’enfant et qu’un corps de femme sont
interchangeables, il y a un problème clair.
- Si le viol est quasi lié à une mystérieuse nature masculine qu’on ne
saurai maîtriser, alors il n’y a qu’une seule façon de l’éviter ;
demander aux femmes de prendre des précautions quant à leur tenue, leur
comportement, leurs attitudes, leurs heures de sortie, leurs lieux de
sortie, la musique qu’elles écoutent. Pour vous faire une idée, vous
rentrez chez vous après être allé au cinéma, votre appartement est
dévasté, les cambrioleurs ont uriné sur vos vêtements et tué le chat. Là
la police vous demande : “vous sortez de chez vous ? De nuit ? Mais êtes
vous inconscient? Et en plus quand vous sortez vous n’embauchez pas de
garde du corps pour surveiller votre maison ? Qui plus est vous partez
sans emmener le chat et l’intégralité de votre garde-robe ? N’aviez-vous
pas une secrète envie que le chat meure ? Y teniez-vous vraiment à ce
manteau ? Vous cherchez un peu les problèmes, non ?”
Voilà le genre d’absurdités qu’entendent beaucoup de victimes de
violences sexuelles ; si ce n’est directement par la police, leur
famille, leurs amis ou la justice, cela sera par les media ou les
productions culturelles.
La deuxième idée qui participe donc à la culture du viol est que la
responsabilité du viol est de la faute des victimes elles-mêmes qui
n’ont pas su se protéger. Il est très rare que la responsabilité du
violeur soit entièrement mise en cause. Ainsi prenons le cas du viol
commis par Roman Polanski. Cet homme a drogué et fait boire une
adolescente de moins de 15 ans pour la violer analement et vaginalement.
Et voilà que certains évoquent “qu’elle est venue chez lui” ; mais
rassurez-moi, est ce que dés qu’on vient chez vous, vous adoptez ce
genre de comportement ? Où en êtes vous au stade de croire que “les
hommes sont comme ça”, que les hommes font ce genre de choses et que
c’est aux femmes de le savoir ?
- La troisième idée importante dans la culture du viol c’est de se
faire du viol une idée fausse. Pour la majorité des gens, le viol est
commis par un inconnu, souvent déséquilibré, avec une vie sexuelle
inexistante, sur une jolie jeune femme de 20 ans en mini jupe qui a eu
l’imprudence de sortir tard le soir dans un lieu désert (le petit
chaperon rouge a vraiment fait des ravages). Comme nous sommes quasi
tous et toutes éduqués à croire à ce mythe, pourtant amplement démonté
par les statistiques (tant sur le lieu, que sur l’habillement, la
victime ou le violeur) nos comportements reflètent ces mythes. Nous
disons à nos amies de ne pas rentrer seules ou trop tard. Nous leur
disons de ne pas s’habiller comme ci ou comme cela. Nous leur
conseillons de faire attention à leur verre et de ne pas trop boire.
Disons-nous à nos amis de ne boire car sous l’effet de l’alcool, ils
pourraient violer quelqu’un ? Pourquoi est-il à peu près admis qu’on
doit dire à quelqu’un de ne pas boire s’il conduit car il pourrait se
tuer et tuer quelqu’un mais absolument impossible de lui dire que s’il
boit, il peut violer ?
C’est impossible parce qu’il est bien admis par toutes et tous que le
violeur est un inconnu. Sauf qu’avec 100 000 viols par an au bas mot,
cela fait beaucoup de violeurs sans ami inconnus de tous, non ?
Peut-être y’a-t-il une sorte d’exoplanète où vivent des millions
d’inconnus qui en débarquent pour violer et repartent ensuite ?
C’est là que nous pouvons répondre aux deux questions posées en début
d’article.
Nous sommes en effet tous et toutes conditionnés à voir le viol comme
“quelque chose d’horrible” ; lorsqu’un blogueur américain dit qu’il veut
décriminaliser le viol, je n’ai pas vu de gens trouver que c’était une
chouette idée. En revanche, lorsque nous commençons à réfléchir un peu
plus en profondeur à ce que nous qualifions de viol, et donc d’horrible,
on constate que nos déclarations ne sont plus du tout les mêmes.
Nous sommes d’un coup très prompts à ne pas voir de viol là où il y en a
pourtant un. Nous trouvons des circonstances atténuantes au violeur
(“quand même il fait de bons films”, " elle est moche c’est limite un
service à lui rendre à ce niveau là") et des circonstances accablantes
pour la victime (“elle a souri sur une photo en 1983, ca en dit long”).
Nous allons donc tous et toutes trouver que des viols commis par des personnalités aussi rares que Michel Fourniret sont absolument atroces et nous aurons beaucoup plus de mal à considérer qu’il s’agit du même acte lorsque c’est un gamin de 20 ans, en fac de droit, bac mention TB, qui a violé une camarade lors d’une soirée très alcoolisée. Et comme, vous l’aurez compris, le viol par connaissances “bien sous tout rapport” est beaucoup plus répandu que le viol “à la Fourniret”, on est rapidement amené à ne plus trouver le viol si horrible que cela puisqu’on ne considère même plus qu’il s’agit de viol. J’ai un exemple que je cite souvent car je le trouve très caractéristique. Le film “40 ans toujours puceau” est une comédie américaine qui a eu un très grand succès. On nous raconte, comme le titre l’indique, la vie d’un homme de 40 ans toujours vierge. ces collègues de travail cherchent donc tous les moyens de le dépuceler et lui proposent donc un soir de trouver une fille extrêmement ivre (alors qu’il est sobre) car elle ne se refusera pas à lui et ne s’apercevra pas qu’il est vierge. S’en suit une scène qui est censée être drôle ; beaucoup de gens auraient énormément de mal à comprendre qu’on parle ici de violer une femme (puisqu’on lui conseille de choisir des femmes vraiment extrêmement ivres). Beaucoup trouveraient qu’on exagère, qu’on casse tout le délire et que “m’enfin c’est quand même pas Fourniret”. Il est évident que le réalisateur, ni le scénariste, ni les comédiens n’ont aucune idée qu’ils ont tourné, écrit, et joué une scène de viol et c’est bien là tout le problème. Le fait qu’énormément des spectateurs aient vu ce film sans voir qu’ils riaient d’une scène où on lui avait conseiller de violer une fille est lui aussi caractéristique que nous baignons dans une culture où l’on encourage le viol… sans l’appeler ainsi.
Dans ce contexte là, il n’est pas non plus illogique que le viol soit très puni dans la loi ; il l’est oui … sauf que comme nous sommes tous et toutes bien convaincus de ce qu’est un viol (ceux commis par Fourniret donc qui n’arrivent quasiment jamais), nous entretenons un climat, une ambiance, une CULTURE, où il est extrêmement difficile pour une victime de porter plainte tant elle est convaincue qu’elle l’a bien cherchée/qu’elle exagère/que ce qu’elle a vécu n’est pas un viol puisque cela n’était pas dans un parking souterrain avec un grand couteau tenu par un homme très laid.
- Chaque viol est traité sous l’angle du cas individuel et isolé ce qui
pousse à penser qu’il s’agit d’accidents isolés. En clair un violeur est
vu comme un malade mental même s’il faudrait néanmoins nuancer cette
assertion car dans le cas où le violeur est
rom/africain/arabe/noir/musulman/né en “banlieue” on a au contraire
tendance à essentialiser son crime.
C’est ainsi que nous ne parvenons pas à voir le viol comme un acte
profondément ancré dans nos cultures ce qui nous empêche au fond de
mener toute action et réflexion contre les crimes et délits sexuels.
Il est nécessaire de faire un paragraphe sur la culture du viol face aux
hommes victimes. Elle existe tout autant mais ne s’exprime pas du tout
de la même manière.
Les chiffres en début d’articles vous montrent que beaucoup d’hommes
sont victimes de violences sexuelles. Pourtant, personne ne leur dira
plus de “faire attention”, de “ne pas rentrer tard” et de “ne pas trop
boire”. Je ne dis pas qu’il faut spécialement le leur dire mais si l’on
a tendance à éduquer les filles dans la peur, on a tendance à éduquer
les garçons en valorisant des comportements intrépides qui seraient
garants de leur virilité. On dira à un garçon de ne pas rouler trop vite
(“c’est un garçon ils sont comme ça la testostérone leur fait faire des
trucs idiots”) mais on ne lui dira pas de faire attention aux autres
hommes qui pourraient le violer. On considère que cela n’existe pas pour
deux raisons : les hommes sont censés savoir se défendre, si ca arrive,
en fait les victimes n’en sont pas puisque les hommes sont censés savoir
se défendre.
La majorité des agressions sexuelles et des viols sur des hommes sont
commises par des hommes et ramène directement à l’homosexualité. Comme
il est entendu pour beaucoup qu’un homme est censé savoir se défendre,
s’il a été violé c’est qu’il n’a pas été assez fort (donc pas assez
viril), c’est donc qu’il l’a voulu et qu’il est homosexuel. Je ne peux
ici développer davantage mais je ne vous apprendrais pas que nous vivons
dans une société homophobe (et non le fait d’avoir voté le mariage pour
tous n’a pas changé cela) ; l’homme violé ne sera donc plus une victime
mais coupable d’être homosexuel.
Le viol par une femme n’est même pas imaginable dans nos sociétés et ce
pour plusieurs raisons :
- un homme est forcément plus fort qu’une femme
- si un homme a une érection, c’est qu’il est consentant (j’en profite pour faire un bref aparté. Il se peut, si vous avez été violé-e ou agressé-e que vous ayez eu des réactions physiques - mouiller, bander, éjaculer - peut-être avez-vous eu un orgasme. Il existe des effets tout à fait mécaniques du corps qui ne sont pas liés à l’excitation. Il n’y a donc absolument pas à s’en vouloir pour cela et personne n’a à vous dire le contraire).
- tous les hommes ont envie de toutes les femmes ; il ne peut qu’être heureux de ce qui lui arrive.
Lorsqu’on parle de “culture du viol” il ne s’agit pas de dire que vous soutenez le viol voire même en commettez. Il s’agit de faire comprendre que nous baignons dans une culture où le viol est minimisé, naturalisé, excusé voire même toléré (si cette phrase vous choque je vous renvoie aux affaires de viol célèbres et de ce qui a pu se dire sur les violeurs et leurs victimes). Il y a énormément de viols de femmes, d’hommes et d’enfants en France. Nous sommes tous prêts à dire, sans jamais aller plus loin, que “le viol est horrible et que les violeurs sont des êtres immondes”. Si le viol est considéré comme si horrible, pourquoi la plupart des victimes de viol se sentent-elles aussi souvent coupables ? Le sentiment est tellement partagé par un grand nombre de victimes qu’on ne peut raisonnablement croire qu’il n’est qu’une expression individuelle. Reconnaître que la culture du viol existe est une nécessité pour faire diminuer le nombre de violences sexuelles.
De la tolérance envers le viol
Août 2015 – crepegeorgette.com
Si nous réalisions un micro-trottoir dans la rue à propos du viol, les
mots ne seraient pas assez forts pour en parler. On nous évoquerait ce
“crime abominable”, qui “détruit la vie des femmes” et dont “elles ne
peuvent jamais se remettre”. Le violeur serait qualifié de “monstre”, de
“salopard”, “d’être inhumain”, qu’il faut “enfermer à vie”, voire “tuer”
ou “castrer”. Si nous parlions de viol sur des mineur-es de moins de 15
ans, les réactions seraient encore plus violentes et virulentes.
Si nous interrogions ensuite sur les gens sur ce qu’est pour eux un
viol, la définition serait sans doute la suivante : “une jeune femme
court-vêtue rentrant chez elle tard le soir, violée par un inconnu armé
d’un couteau”. Nous savons que ces représentations sont fausses mais
elles ont profondément ancré nos esprits et il est extrêmement difficile
de se sortir de l’esprit cette image pour se rappeler que le viol a
davantage lieu dans un lieu privé et par une connaissance. Pourtant nous
sommes à peu près toutes et toutes convaincues, que si nous ne
condamnons pas tous les viols, nous condamnons les plus terribles, les
plus violents, les plus atroces.
Lydia Gouardo est née en 1962. Son père
légitime Raymond Gouardo la viole entre 1971 et 1999, date à laquelle il
meurt. Elle fera plusieurs fugues, tentant de chercher secours auprès de
différents services sociaux ou de la gendarmerie. Elle sera toujours
renvoyée chez son père. Elle aura six enfants de ses viols ; elle écrit
en 2008 un livre Le silence des autres et en 2014, Léonore Le Caisne,
ethnologue au CNRS, publie *Un inceste ordinaire. Et pourtant tout le
monde savait.
*Dans la cité où vivait cette famille, les enquêtes ont montré que
beaucoup de gens savaient.
Les extraits qui suivent sont extraits de l’article de Léonore le
Caisne, paru dans la revue Ethnologie française.
- “Ben évidemment ! s’écrie ainsi l’ancienne secrétaire de mairie. Quand on dit dans les journaux que tout le monde savait et que personne n’a rien fait, tout le monde savait, c’est vrai… Tout le monde savait que les enfants, c’était de son père !”
- “*Y a que les anciens, qui savent !, lance un agriculteur. C’est
vraiment des vieilles souches qui sont d’ici. Puis après y en a qui sont
parties et qui sont revenues, mais… Mais vraiment qui ont connu
l’histoire du pays…”
- *"Bah on le voyait bien, y a personne d’autre qui venait, quand même ! Y a personne d’autre qui venait, parce que personne n’avait le droit de rentrer. Y avait jamais un mec qui rentrait la‑dedans."
- “On disait que c’était lui le père. Mais vous savez, les bruits… Moi, au début, je disais : « Non », puis après, à force de la voir enceinte, tous les enfants se ressemblaient, et elle n’avait pas de mec, alors… [rires]”
- “Nous, si vous voulez, on l’a su par des rumeurs. Comme on allait faire nos courses à Super M., et bon, c’est vrai que quand on rentrait à Super M. et qu’il était devant nous, les filles qui étaient à la caisse, elles disaient entre elles : « Tiens, c’est lui qui fait les gosses à sa fille ! » Et nous, c’est comme ça qu’on l’a su.”
Si nous interrogions des gens au sujet d’un homme qui viole sa propre fille pendant des dizaines d’années et la met enceinte un grand nombre de fois, aucun mot ne serait pas assez dur pour le qualifier. Sans aucun doute certains arriveraient à se demander pourquoi elle est restée en ignorant les phénomènes d’emprise, la séquestration, la torture subie par cette jeune femme - en plus des viols - mais chacun s’accorderait à reconnaître que ce père est définitivement un monstre à enfermer. Dans les faits, cela n’est pas ce qu’il s’est passé. Les institutions savaient. Les voisins savaient. L’école savait, les gendarmes savaient, les médecins qui ont examiné ses blessures savaient, les éducateurs savaient, tout le monde savait. La tentation serait évidemment grande de se dire que cela ne se passerait pas comme ca “ailleurs”, que là-bas c’étaient des “paysans”, des “arriérés” mais que nous au moins on aurait agi différemment. Et pourtant les faits sont têtus ; des gens, sans aucun doute très semblables à nous, ni pires ni meilleurs que nous, se sont tus devant ce qui était un viol incestueux se déroulant quasiment sous leurs yeux. Pire ils en ont ri, pire ils ont fait des commérages, pire ils ont opéré des constructions mentales entre ceux qui savent “les vrais habitants, les anciens” et ceux qui ne savent pas “les nouveaux”. Dans notre culture pourtant, comme dans bien d’autres, l’inceste - surtout entre parent et enfant - est dénoncé comme un tabou absolu, comme l’horreur ultime. Mais la réalité est têtue face aux objections de façade ; tout un pan de notre société n’a pas agi pour mettre immédiatement fin aux viols commis par cet homme. Cet homme a pu violer, séquestrer et torturer sa fille très longtemps et beaucoup de gens lui ont trouvé des excuses en expliquant par exemple que “Il avait sa personnalité un peu dure, mais j’aime bien les gens comme ça. Bon, il était peut‑être dur avec elle, mais faudrait voir comment elle était aussi. Les maillots, les décolletés, pour quelqu’un qui était si maltraité… Faut faire la part des choses. Ça se trouve, c’est peut‑être une fille qui voulait ce qu’elle voulait…” Même dans un cas donc d’inceste sur des dizaines d’années, il faut encore atténuer l’horreur des faits et encore excuser.
En 1977, Roman Polanski est arrêté ; il aurait mis de la drogue dans du champagne qu’il aurait fait boire à une adolescente de 13 ans, Samantha Geiner . Il l’aurait ensuite violée, bucalement, vaginalement et analement. Au terme de la procédure, il sera finalement accusé de relations sexuelles illégales avec une mineure ; il fuira les Etats-Unis pendant sa libération sous caution et ne sera jamais jugé pour ses crimes. Alain Finkelkraut écrivait “ce n’était pas une fillette, une petite fille, une enfant, au moment des faits” ; doit-on en conclure que ce genre de comportements aurait été acceptable avec quelqu’un qui n’était pas une fillette ? Et Costa Gavras de dire “elle en faisait 25” ; là encore on peut se demander s’il serait alors licite selon lui de violer une femme de 25 ans. Lorsque Polanski a été arrêté en Suisse, une pétition comportant des dizaines de signatures a demandé sa libération. Polanski est régulièrement reçu à Paris, on lui donne des prix, il est interviewé et donne son avis sur tout et rien. Il ne s’agit pas évidemment de se dire qu’on devrait enfermer Polanski à vie pour des actes commis il y a 40 ans. Il s’agit plus simplement de remarquer le gap entre ce que nous pensons du viol de mineure de moins de 15 ans et nos réactions lorsque de tels actes sont commis. Si nous interrogions les gens sur l’idée qu’un adulte puisse droguer une mineure de moins de 15 ans pour la sodomiser, là encore, les mots seraient sévères ; on parlerait de l’envoyer en prison, sans nul doute certains souhaiteraient qu’il lui arrive la même chose. Rien de tout cela ne s’est passé ici. Polanski a fui, il a échappé à la justice et collectivement nous montrons que cela n’est pas très grave puisque nous continuons à lui donner des prix, à le féliciter pour ses films ou à l’interviewer. Pire nous cherchons des excuses à son comportement en blâmant sa victime, la mère ou l’époque sans jamais nous demander pourquoi tout d’un coup nous sommes si timorés. Nous serions furieux qu’on ose nous dire que nous excusons le viol d’adolescentes droguées mais pourtant quel signe a renvoyé la société française face à ce viol ? A quel moment avons-nous par exemple collectivement dit que même si nous pouvons apprécier le travail de Polanski, nous condamnons sans aucune équivoque ce qu’il a commis ?
2014-2015. Des soldats de l’ONU - dont des français - sont accusés d’avoir violé des enfants entre 8 et 15 ans en Centrafrique : l’affaire est révélée par la transmission d’un rapport confidentiel de l’ONU. Pendant un an, l’ONU et l’UNICEF ont mené des entretiens avec les enfants faisant état de violences sexuelles. Ces entretiens n’ont pas déclenché d’enquête, ni amené qui que ce soit à offrir protection ou aides aux enfants concernés. L’un des enfants interrogés révélait ainsi continuer à être violé alors que l’enquête de l’ONU avait - normalement
- commencé.
Paula Donovan, co-directrice du groupe Aids Free World déclare “The UN’s instinctive response to sexual violence in its ranks – ignore, deny, cover up, dissemble – must be subjected to a truly independent commission of inquiry with total access, top to bottom, and full subpoena power”. (“La réaction instinctive de l’ONU aux violences sexuelles commises dans ses rangs – consistant à ignorer, nier, dissimuler puis feindre – doit faire l’objet d’une commission d’enquête véritablement indépendante, disposant d’un accès illimité, à tous les échelons, ainsi que d’un pouvoir complet d’assignation.")
Deux soldats français ont été suspendus par l’armée française pour le viol d’une enfant de 5 ans au Burkina Faso. Ils n’ont pas pour autant été arrêtés. Alors qu’il y avait un rapport sur ce viol l’ONU avait négligé d’en prévenir l’armée française. Il y a quelques jours, Amnesty international a demandé l’ouverture d’une enquête pour des homicides et un viol commis par les casques bleus à Bangui. Comme le souligne Lauren Wolfe, l’allégation de viol n’est pas prise au sérieux. Roméo Dallaire, chef de la mission de maintien de la paix au Rwanda durant le génocide de 1994 parle quant à lui d’une culture du silence quant aux exactions commises par les casques bleus.
Imaginons-nous, nous interroger sur le viol d’enfants de 5 ans par des militaires armés, chargés d’assurer leur protection. Demandons-nous quelles seraient nos réactions face à de tels actes ; on imaginerait des marches blanches et des appels au lynchage et des déclarations de principes la main sur le cœur. Et pourtant beaucoup de rapports nous montrent que l’ONU n’intervient pas pour enquêter face à ces abus. De très nombreuses réactions sur les réseaux sociaux - trop nombreuses pour qu’on puisse les éluder - justifiaient l’existence de ces viols par la “situation de stress très dure vécue par les soldats” (on imagine que les réfugiés, eux, ont des conditions de vie tranquilles). D’autres expliquaient encore que les africains mentent et inventent des choses afin d’extorquer de l’argent aux blancs. Encore une fois, la réalité des faits se heurte à nos représentations mentales. Dans notre esprit, nous sommes totalement choqués par la pédocriminalité et nous serions outrés qu’on puisse penser le contraire. Dans la réalité, le sort d’enfants africains noirs nous est complètement indifférent. Dans nos rêves les plus fous de pourfendeurs du viol, le viol d’un enfant doit être puni ; dans la réalité le viol d’un enfant de 5 ans qui a été filmé entraine pour l’instant la simple suspension des soldats et de vagues déclarations de principe de Ban Ki-Moon.
Nous pourrions multiplier les exemples. Nous pourrions évoquer des
dizaines d’exemples où les faits correspondent exactement à nos
représentations mentales du viol.
Nous savions déjà que les viols les plus communs, les plus courants ne
sont que peu condamnés, tant par la justice que socialement. Nous
savions qu’être violée par une connaissance ne fait pas de vous une
“bonne victime de viol” car dans nos représentations mentales le viol ne
ressemble pas à ce genre d’actes. Mais nous nous pensions impitoyables
face à ce que nous appelons parfois “de vrais viols” ; les viols sur
mineurs, la pédocriminalité, les viols sous la menace d’une arme ou les
incestes.
Nous nous pensions impitoyables face aux viols d’enfants par des hommes
lourdement armés. Nous nous pensions impitoyables face au viol d’une
fille par son père sur une dizaine d’années. Nous nous disions fermement
que droguer une adolescente pour la violer était un comportement
extrêmement répréhensible.
Il n’en est rien. Ces exemples, qu’on pourrait multiplier à l’infini
montre combien collectivement nous sommes au fond très tolérants face
aux violences sexuelles. Nous trouverons toujours des excuses aux
violeurs et toujours des responsabilités aux victimes quelle que soit la
gravité du viol. Il serait aisé de se dire que nous ne sommes pas
concernés ; que ce sont d’autres gens qui pensent ainsi mais que nous,
nous les condamnons. Mais si tous et toutes nous réagissons ainsi, si
tous et toutes nous continuons à nous dire que l’impunité face aux
violences sexuelles n’existe pas, qu’il n’existe pas de culture du viol
alors les viols continueront dans la plus grande indifférence. Nous
avons beau jeu de condamner les viols commis par l’Etat islamique, nos
mots ne sont pas assez forts pour dénoncer ces “barbares” qu”‘il
faudrait “exécuter”. Mais pourquoi nos perceptions changent-elles quand
nous sommes concernés ? Pourquoi ne sommes nous pas aussi prompts à
juger lorsque des cas fort similaires arrivent en Occident ? La vérité -
aussi culpabilisante soit-elle - est que les violences sexuelles ne sont
pas vraiment un problème pour nous. La vérité est que nous nous en
accommoderons toujours, quitte à distordre la vérité dans tous les sens.
Les positions de principe, à agiter les bras en tout sens en hurlant que
le viol c’est mal, ont fait long feu.
Le Viol comme outil disciplinaire
Extrait du livre* « En finir avec la culture du viol » : comment les violences sexuelles permettent-elles de maintenir les femmes à leur place de subordonnées ? *Partie III :* **Le viol, une histoire de pouvoir et de dominatio**n - u**n contrôle disciplinaire *- Noémie Renard - antisexisme.net
Les violences sexuelles sont l’expression de hiérarchies existantes [notamment entre hommes et femmes], mais elles constituent également un outil pour les maintenir. Elles permettent, de différentes façons, de réaffirmer la position de chacun.
Les anthropologues ont décrit comment le viol – notamment le viol collectif – est utilisé dans diverses sociétés par les hommes pour punir les femmes qui ne respectent pas leurs règles. Chez les Munduruku et les Caraja du Brésil, les femmes n’ont pas le droit de voir certains objets sacrés: la sentence est le viol collectif. Chez d’autres (Bororo du Brésil, Cheyennes et Omaha d’Amérique du Nord…), c’est l’infidélité féminine qui est sanctionnée ainsi. Selon les cultures, d’autres comportements « incorrects » peuvent être punis par le viol : refus des avances d’un époux, rapports sexuels illégitimes, etc. Plus récemment, la presse s’est fait l’écho de viols dits « correctifs » commis en Afrique du Sud sur des lesbiennes pour les remettre « dans le droit chemin ».
Qu’en est-il des pays occidentaux ? Bien entendu, aucun texte de loi n’autorise le viol comme punition. Cependant, la façon dont les violences sexuelles sont parfois banalisées, que ce soit par les agents de la chaîne judiciaire ou par le quidam moyen, indique qu’elles peuvent être perçues comme un « juste retour des choses » : « Vu comme elle était habillée, elle l’a un peu cherché », « en même temps, elle était saoule », « elle se prostituait, elle s’attendait à quoi, aussi ? ». Certains mythes sur le viol ont clairement un contenu punitif : ils disent qu’une femme qui ne respecte pas certaines règles de prudence ou de bienséance ne doit pas venir se plaindre si elle est violée. Et, comme nous l’avons vu, quand les victimes ont adopté un comportement « inadéquat », ce sont elles qui sont désignées comme coupables. Par ailleurs, quand on les interroge sur leurs motivations, les hommes incarcérés pour le viol de femmes énoncent assez fréquemment l’idée de punition, de revanche ou de volonté de contrôler le comportement d’autrui: « [Je voulais] la rabaisser et la remettre à sa place, pour m’avoir défié ». Ce thème est également présent chez les agresseurs d’enfants, bien que dans une moindre mesure.
À quoi sert, concrètement, une punition ? À discipliner. En « donnant une leçon » à la fautive, on lui rappelle quelle est sa position. On espère ainsi que, humiliée et apeurée, elle respectera désormais les règles. Mais la punition sert aussi d’exemple : elle est censée effrayer non seulement la victime, mais également ses paires, ce qui les dissuadera d’enfreindre les règles.
Est-ce que, dans les pays occidentaux, la peur des violences sexuelles permet de contrôler le comportement des femmes ? La réponse est oui. Les travaux de recherche sur le sujet montrent que la peur du viol entraîne chez les femmes une peur de toutes les autres violences, et que cette peur les pousse à adopter des comportements d’auto-restriction, comme de rester chez soi, d’éviter de se promener la nuit, de ne pas aller seule à certains événements, de porter des vêtements « corrects », de faire attention à ce que l’on boit, etc. Cette peur renforce également, chez les deux sexes, certaines croyances sexistes, notamment celles selon lesquelles les femmes sont des êtres fragiles qu’il faut protéger. Un autre type de violences sexuelles, le harcèlement dans les lieux publics, contribue à ce climat de terreur, puisqu’il intimide les femmes et augmente leur peur du viol, ce qui les pousse à réduire leur mobilité.
**Le stéréotype du « vrai viol[1]» **joue lui aussi sur cette restriction de la liberté de circulation. En effet, en mettant l’accent sur les viols commis par des inconnus et à l’extérieur, celui-ci **attire l’attention sur les situations où les femmes exercent leur autonomie **: quand elles sortent seules tard la nuit, quand elles font de l’auto-stop, quand elles voyagent en solo, etc. Ce sont ces prises de liberté qui suscitent précisément les craintes et les conseils de prudence, alors même que la plupart des viols sont perpétrés par des personnes connues des victimes. La liberté de circulation des femmes est ainsi pointée comme principal facteur du risque de viols, comme si elle était foncièrement problématique.
Outre la liberté de circuler, les violences sexuelles affectent également la liberté sexuelle des femmes. Certaines études suggèrent que les personnes qui adhèrent le plus aux mythes sur le viol ont, par rapport à la moyenne, des opinions plus conservatrices concernant la sexualité, notamment la sexualité féminine : par exemple, elles pensent que ce sont les hommes qui devraient initier les rapports sexuels et non les femmes. Attachées à certaines règles et normes, ces personnes auront probablement tendance à minimiser les violences sexuelles subies par les femmes n’ayant pas eu un comportement sexuel « approprié ». On l’a notamment vu avec l’affaire Weinstein, certains commentateurs arguant que les actrices n’étaient pas des « anges », des « oies blanches », qu’elles n’étaient pas « si innocentes que ça », comme si leur comportement sexuel passé était de nature à changer le fond de l’affaire. À titre personnel, j’ai pu également constater, suite à la parution sur mon blog d’un témoignage relatant des violences sexuelles survenant lors d’un « coup d’un soir », qu’un certain nombre de personnes (surtout des hommes) considéraient que coucher avec des inconnus ou des quasi-inconnus, quand on est une femme, impliquait nécessairement de subir des humiliations, et qu’il ne fallait pas s’en plaindre (« Meuf tu ramènes un mec que tu viens de rencontrer en soirée chez toi et tu t’étonnes que le gars soit pas romantique», dira par exemple un utilisateur de Reddit). Blâmer les victimes à cause de leur comportement sexuel est une manière de les rappeler à l’ordre, une forme de contrôle disciplinaire.
Au-delà du blâme des victimes, les violences sexuelles ont des impacts négatifs concrets sur la vie sexuelle de celles qui les ont subies : peur de la sexualité, manque de désir ou d’excitation, problèmes de lubrification, coït douloureux, vaginisme ou encore difficulté à avoir des orgasmes. Les hommes qui ont été victimes durant l’enfance rencontrent également des troubles sexuels.
Il semble donc relever d’une mauvaise foi intellectuelle remarquable que les antiféministes (à l’instar des « 100 femmes » qui ont signé la tribune du Monde et de leurs soutiens) se prétendent du côté de la « liberté » et contre le prétendu « puritanisme » de toutes celles et tous ceux qui luttent contre les violences sexuelles. La liberté est, précisément, dans la possibilité pour les femmes de mener leur vie sexuelle – et leur vie tout court – comme elles l’entendent, loin des stéréotypes et des menaces qui la restreignent.
Certaines autrices féministes parlent de** terrorisme** pour qualifier les violences sexuelles : « Dans une culture du viol, les femmes perçoivent un **continuum de menaces de violence**, allant des remarques sexuelles au viol, en passant par les agressions sexuelles. Une culture du viol tolère le terrorisme physique et émotionnel contre les femmes, et le présente comme étant la norme. » Le terme « terrorisme » peut paraître excessif. Pourtant, la menace du viol semble agir comme celle des bombes et des fusillades, nous incitant à accepter la réduction de nos libertés en échange d’une illusion de sécurité.
Le non consentement sexuel féminin est-il excitant ?
Décembre 2015 – crepegeorgette.com
(Mon texte va uniquement s’intéresser au concept de consentement féminin dans les couples hétérosexuels et en Occident.)
On voit actuellement, émanant des mouvements féministes, émerger
beaucoup de projets autour du consentement en matière sexuelle. Des
féministes tentent donc d’inculquer l’idée qu’il faut s’assurer du
consentement avant de pratiquer tel ou tel acte sexuel et proposent par
exemple des ateliers autour du consentement comme cette initiative
anglaise.
Face à ces initiatives, on voit surgir énormément de résistances en
particulier masculines ; le motif le plus évoqué étant que “cela va
faire tomber l’excitation”.
Tout mon article servira à démontrer, au
travers d’exemples, que le non consentement féminin est à la fois
considéré comme sans importance mais aussi et surtout profondément
excitant. Vous constaterez que les exemples sont fort différents les uns
des autres ; quoi de commun entre un peintre du XVIIIème siècle et une
comédie populaire des années 2010. C’est justement là que réside, à mon
sens, l’intérêt de l’argumentation. Toutes nos pratiques culturelles
sont imprégnées et ce, depuis des siècles, par l’idée que les violences
sexuelles sont érotiques, séduisantes, excitantes et que le
non-consentement féminin, en plus de n’avoir pas grande importance est
excitant. Bien sûr il faudrait nuancer cette assertion ; cela dépend qui
prend la femme qui ne consent pas. Pendant des siècles, le viol
n’existait pas comme nous l’entendons aujourd’hui. Le viol conjugal
n’existait pas et il était souvent fréquent que le viol par un inconnu
soit considéré comme grave parce que le violeur avait pris le bien d’un
autre, pas parce qu’il avait violé une femme.
Nous vivons une situation assez contradictoire et ambivalente ; d’un
côté on nous explique que rien n’est pire que les violences sexuelles et
de l’autre nous sommes conditionné-es à être excitées par leur
représentation. Pire nous sommes mêmes fasciné-es par certains
agresseurs sexuels si tant est qu’ils ne correspondent pas à l’image
d’Epinal du violeur : Matzneff, Polanski, Deen, Cosby, Polac. La liste
est longue.
Se tient en ce moment au Musée du Luxembourg à Paris, une exposition
nommée “Fragonard amoureux. Galant et libertin”. Vous pouvez trouver
sur le site du musée la présentation de l’exposition. Un certain nombre
de tableaux nous permet de constater la profonde ambigüité occidentale
face au sexe et aux violences sexuelles. Le tableau La résistance
inutile nous montre une servante face à son maître. C’est un thème
qu’on retrouve beaucoup dans l’exposition. On peut et on doit évidemment
questionner la question de la possibilité de consentement d’une
domestique du XVIIIeme siècle (ou du XXIeme - Carlton - ) face à un
homme riche et puissant. S’il existe dans l’exposition des scènes de
viol plus explicites, celle-ci n’en est pas une ; étudions le traitement
pictural de la femme. Fragonard nous dit qu’il y a quelque chose de
l’ordre du non consentement dans ce tableau en l’intitulant “La
résistance inutile” mais il rend aussi ce possible non consentement
ambigu ; d’une main la femme repousse l’agresseur et de l’autre elle le
regarde et lui sourit. Ses mains disent non mais son regard dit oui ;
phrase qui ne vous sera pas étrangère puisqu’on la retrouve assez
souvent dans les défenses de violeurs. Le tableau montre donc une
possible scène de viol ; il est difficile de la savoir mais présentée de
façon ambiguë et fortement érotisée.
On est ici dans un parfait exemple de nos profondes ambiguïtés face à la
violence sexuelle ; le non consentement devient excitant. Le non
consentement est peut-être du consentement ; le consentement et le non
consentement sont au fond semblables, se ressemblent et nous excitent
également. Les femmes disent non et pensent oui ; il suffit de les
pousser un peu. C’est une caractéristique de l’érotisme occidental, en
tant que pratique culturelle destinée à procurer de l’excitation
sexuelle aux membres d’une société donnée à un temps donné. On la
retrouve beaucoup dans le porno des années 90. Il semble que certains
scenarii actuels se fassent toujours une spécialité de mettre en scène
le non consentement féminin. Dans beaucoup de pornos des années 90, on
voit une femme surprise par un homme inconnu. Au départ elle prononce un
non catégorique qui devient rapidement un oui devant l’insistance et les
gestes de l’homme. Il ne nous viendrait pas à l’idée de considérer qu’on
parle “d’agressions sexuelles” puisque la femme a bien dit non et que
l’homme a eu des gestes sexuels à son égard pourtant c’est bien de cela
qu’il s’agit. La femme à force d’insistances, se déchaîne et devient
sexuellement active et incontrôlable. Il ne s’agit pas - précisons-le
d’emblée - de condamner le porno. Le porno peut simplement, comme la
peinture, le cinéma non pornographique, les séries télévisées, la
publicité renseigner sur une société à un moment donné. Le porno peut
donc nous aider à comprendre ce qui excite une société donnée à une
époque donnée et sur nos représentations genrées.
Mais revenons à Fragonard. Le commissaire d’exposition, à part sur un ou
deux cartouches, n’a pas jugé utile ou pertinent, de traiter de cette
question du non consentement féminin dans l’imaginaire érotique
occidental. Voici ce que dit de cette première peinture le site
culture.fr : “Fragonard élague la scène en supprimant les meubles et se
concentre sur l’essentiel : le jeu entre l’homme et la jeune servante,
qui entend se défendre. Fragonard joue avec les formes; comme celle de
l’édredon et les sous-entendus coquins, commente le commissaire.”
Il est donc clair, qu’encore au XXIeme siècle, la question du non
consentement féminin, est vue comme excitante, comme un “jeu”.
Qu’encore aujourd’hui, on peut nous présenter des scènes à tout le
moins ambiguës en matière de consentement, comme érotiques.
Voici un autre tableau nommé Le Verrou. Le même site en dit “Avec le
Verrou, on est dans le jeu libertin de la femme qui hésite et de l’homme
déterminé. La femme semble inquiète mais on ne sait pas si elle fait
semblant ou non” poursuit le commissaire. “Il y a quelque chose de
dramatique dans l’organisation du tableau et la question ; est ce un jeu
ou non ? ne semble pas réglée”.
Cette scène a été choisie comme affiche pour l’exposition et se montre
donc un peu partout dans Paris ; on constate donc qu’une peinture sur
laquelle il existe une ambiguïté quant à ce qu’elle représente - un
viol ou un acte consenti - a été choisie pour illustrer une exposition
sur le sexe et l’amour. Je ne trancherais pas quant à ce que cette
peinture désigne ; déjà parce que je n’en ai pas les compétences
artistiques et historiques mais aussi parce qu’il me semble qu’il est
justement impossible de le faire et c’est là tout le point de mon
raisonnement. Contentons nous de souligner que s’il existe un doute
quant à ce qui est représente sur cette scène, cela en dit long sur une
société à qui on la présente comme affiche d’exposition et en tant que
scène érotique.
Tout dans le tableau semble dire que la femme dit à la fois non et oui
et que de toutes façons peu importe ce qu’elle dit, la scène est
excitante et c’est bien là tout ce qui compte. Tout l’érotisme
occidental s’est construit au cours des siècles sur l’idée que les
femmes sont ambiguës quant au consentement et que c’est justement ce qui
est excitant. C’est d’ailleurs ce que j’ai souvent évoqué sur ce blog ;
beaucoup de couple hétérosexuels fonctionnent encore sur des recettes
anciennes où les femmes se doivent de manifester un refus apparent que
l’homme doit vaincre par sa persuasion. Le “non” n’est donc plus un réel
“non” mais une sorte de jeu érotique. Entendons nous bien mais cela va
mieux en le disant ; il ne s’agit absolument d’excuser les violeurs en
se disant que les femmes leur ont envoyé des signaux contradictoires.
Il s’agit en revanche de comprendre comment mettre fin aux violences
sexuelles et je prétends que tant que le non consentement féminin sera
vu comme excitant - c’est à dire que tant que nos pratiques sexuelles
flirteront avec le fantasme de la violence envers les femmes - alors il
ne sera pas possible d’y mettre fin. On ne peut pas mettre fin aux
violences sexuelles sans questionner nos sexualités et nos fantasmes ;
pas évidemment de manière individuelle mais en ce que notre société a
comme codes pour montrer l’excitation sexuelle.
Ces deux tableaux de Fragonard nous montrent - mais on pourrait en trouver de similaires à toutes les époques - combien sexe consenti et viol sont proches. Nombre de féministes pensent que le viol n’est pas du sexe mais de la violence. Je pense que le viol est du sexe et qu’il est même consubstantiel à la sexualité occidentale en ce que le non consentement féminin est vu comme érotique et excitant. Et c’est bien ce que nous disent les opposants aux ateliers sur le consentement sexuel ; “si on doit demander, ca ne sera plus excitant”.
Nos imaginaires érotiques, nos fantasmes ne sortent pas de nulle part et
ne peuvent être considérés comme étrangers aux systèmes sexistes (et
racistes et homophobes etc) existant en France.
L’érotisme ne nait pas de rien ; ce qui nous excite ne naît pas de
rien.
Et le fait est donc, comme nous l’avons vu en début de texte, que le
consentement féminin ne semble pas excitant.
En faire le constat n’est évidemment pas approuver cet état de fait. La
difficulté principale est de comprendre comment l’on peut mettre fin à
cette pratique culturelle là. En clair, comment rendre excitant le
consentement et non excitant le non consentement ? Je n’ai évidemment
pas de réponse simple à cette question tant elle implique de remettre à
plat bon nombre de nos pratiques culturelles. La question des violences
sexuelles sera peut-être la question la plus compliquée à régler parce
qu’elle implique d’examiner nos pratiques culturelles concernant le
consentement féminin et ce dans tous les domaines.
Peu amatrice de comédies et comédies romantiques, j’ai récemment tenté
de regarder ce type de films. J’ai donc regardé 40 ans et toujours
puceau, qui fut, nous dit wikipedia, un énorme succès mondial. Dans ce
film, un homme est conseillé par ses collègues pour perdre sa virginité
; l’une des méthodes implique donc de coucher “avec des pétasses très
ivres”. Est ensuite déroulée toute une analyse sur le fait que “la
pétasse” doit être suffisamment ivre pour ne pas trop voir à qui elle a
affaire mais pas ivre au point d’être comateuse. Peu de gens, à part des
féministes, relèveront que coucher avec quelqu’un dont on n’est pas sûr
du consentement est pour le moins problématique et qu’au vu de certaines
scènes, on peut penser que ces collègues sont tout bonnement en train de
lui conseiller de violer des femmes ivres. Il ne s’agit pas ici, comme
pour Fragonard d’ailleurs, de pointer une personne en particulier et de
juger que le réalisateur prône le viol comme moyen de dépucelage mais de
justement montrer combien nous avons collectivement des difficultés à
considérer le viol pour ce qu’il est. Des millions de personnes ont du
rire devant ce film et seraient sans nul doute bien étonnées de me lire.
Et pourtant il est caractéristique de constater que dans une comédie
très grand public, où l’on est censé rire du début à la fin, avec un
happy end, il passe l’idée que coucher avec des femmes qui ne peuvent
pas consentir est un ressort comique et une méthode logique pour perdre
son pucelage. L’idée ne vient pas du scénariste ou du producteur ; il
serait un peu facile de les viser nommément en pensant qu’ils ont un
sérieux problème. Non ce sont nos sociétés qui ont une sérieux problème
avec le consentement féminin.
La première étape pour mettre fin aux violences sexuelles, est donc déjà
de considérer ce qui relève des violences sexuelles et du non
consentement féminin. Cela sera infiniment compliqué car nous sommes à
la fois conditionnés à considérer le viol comme horrible mais à ne
jamais voir des viols nulle part. Peu de gens sortiront de l’exposition
Fragonard en réalisant qu’ils ont vu de nombreuses scènes de viol et que
ces scènes sont considérées dans l’imaginaire occidental de 2015, comme
dans celui du XVIIIème comme érotiques. Peu de gens admettront avoir vu
dans 40ans toujours puceau un film où l’on prône le viol comme moyen
acceptable pour perdre sa virginité. Peu de gens se questionneront -
parce que cela n’est pas agréable de le faire - de leur attrait devant
certains films pornographiques où le consentement féminin n’est pas pris
en compte.
La seconde étape est sans doute de faire collectivement évoluer l’érotisme - ce qui nous excite si on veut le dire vite - afin que le non consentement féminin ne soit plus considéré comme négligeable et excitant. Il est extrêmement difficile de faire évoluer ce genre de pratiques surtout lorsqu’elles sont vieilles de plusieurs siècles et vendues comme “‘une spécificité française” y compris par des féministes. Je n’ai évidemment pas de solutions toutes prêtes face à ces pratiques sauf à nous questionner collectivement et de matière permanente - même si cela n’est pas “excitant” - quant à notre rapport à la sexualité et au consentement des femmes. Il me semble que tant que l’on continuera à considérer que le viol n’est pas de la sexualité, qu’il n’a rien à voir avec, que nos pratiques, usages et habitudes érotiques n’ont rien à voir avec les violences sexuelles alors le combat face aux violences sexuelles me semble perdu d’avance.
Il est sans doute compliqué d’admettre que nous sommes dans une société
qui encourage les violences sexuelles. Oh pas toutes évidemment. C’est
compliqué car, comme je le disais, on nous a éduqué à considérer le viol
comme la chose la plus atroce pouvant arriver à quelqu’un. D’un autre
côté, lorsque cela arrive - et cela arrive souvent - les victimes sont
moquées, accusées de mentir ou de l’avoir cherché.
Les violences sexuelles sont continuellement érotisées et ce quelles
qu’elles soient. Elles perdent alors leur sens ; elles ne sont plus
définies comme des actes sexuels pratiquées sans le consentement de la
victime, ce qui est la seule et vraie définition. Il y a donc très peu
de viols considérés comme tels, puisque les seuls à l’être sont les
actes dit monstrueux, qui par définition n’existent pas.
Dans ce contexte-là, il n’est pas étonnant de constater qu’on nie les
violences sexuelles et qu’on les érotise.
Chiffres, études, enquêtes …
Qu’est ce que la propension au viol ?
Noémie Renard – antisexisme.net
La propension au viol est le penchant pour le viol que manifestent certaines personnes. Elle permet d’estimer la probabilité qu’un individu soit un violeur potentiel.
Expérimentalement, elle est mesurée de la façon suivante : un scénario de viol est décrit (mais sans que jamais le mot « viol » n’apparaisse) et l’on demande à un échantillon de personnes si elles se seraient comportées comme l’agresseur du scénario. Les réponses possibles varient de (1) Pas du tout à (5) Très probablement.
Par exemple :
Cela fait plusieurs fois que vous êtes sorti avec une femme rencontrée récemment. Un week-end, vous allez tous deux au cinéma, puis vous retournez ensemble chez vous. Vous buvez quelques bières, écoutez de la musique et vous vous faîtes quelques caresses. A un moment, votre amie se rend compte qu’elle a trop bu et qu’elle ne peut pas conduire pour rentrer chez elle. Vous lui dites qu’elle peut rester ici pour dormir, pas de problèmes ! Vous avez envie de saisir cette opportunité de coucher avec elle. Mais elle objecte, disant que tout cela arrive trop précipitamment et qu’elle est trop ivre. Vous ne vous laissez pas rebuter, vous vous allongez sur elle et faîtes ce que vous avez envie de faire.
Cette méthode de mesure n’est pas reliée à la désirabilité sociale : autrement dit, les répondants ne sont pas influencés par le « Qu’en dira-t-on ? ».
Dans une review de 1981, Malamuth indiquait que, sur l’ensemble des études analysées, environ 35% des hommes présentaient une certaine propension au viol. Une autre étude de 1992, portant sur 159 étudiants d’une université américaine protestante, a montré que 34% d’entre eux admettaient une certaine propension aux agressions sexuelles. Dans une étude réalisée en 1998 en Allemagne, 33% des participants avaient déclaré qu’il y aurait une chance qu’ils se comportent comme l’agresseur. Enfin, dans une étude qualitative de 2004 portant sur 20 étudiants, 6 d’entre eux ont admis que sous des circonstances particulières, ils seraient capables de violer ou d’agresser sexuellement.
Enquete #NousToutes sur le consentement.
- 9 femmes sur 10 déclarent avoir déjà ressenti une pression de la part d’un partenaire pour avoir un rapport sexuel. Pour 83,2% des répondantes, la pression est intervenue « plusieurs fois, la plupart du temps ou à chaque fois ». (1 hommes sur 10)
- 8 femmes sur 10 rapportent des faits de violences psychologiques, physiques ou sexuelles dans le cadre de rapports sexuels avec un ou plusieurs partenaires.
- 1 femmes sur 6 déclare que son premier rapport sexuel n’était pas consenti et désiré. Parmi elles 36,5 déclarent que ce premier acte sexuel non consenti et désiré a eu lieu avant 15 ans.
- 62,7% des répondantes se retrouvent à ne pas oser dire à leur partenaire qu’elles souhaitent arrêter un rapport sexuel.
- 70 % des femmes déclarent avoir eu des rapports sexuels sans pression de leur partenaire, alors qu’elles n’en n’avaient pas envie. Pour 25 % d’entre elles : « je pensais que le problème venait de moi ».
- Plus d’une femme sur 4 déclare qu’il est déjà arrivé qu’un rapport sexuel se poursuive alors qu’elle avait demandé qu’il s’arrête.
L’enquete « Les Français-e-s et les représentation sur le viol et les violences sexuelles
L’enquête a été réalisée par l’institut IPSOS pour l’association Mémoire Traumatique et Victimologie du 25 novembre au 2 décembre 2015, via Internet, auprès de 1001 personnes constituant un échantillon national représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée grâce à la méthode des quotas appliquée aux variables de sexe, d’âge, de profession de la personne interrogée, de région et de catégorie d’agglomération.
Les conséquences de la culture du viol
• Les viols sont fréquents : en France, 1 femme sur 6 et 1 homme sur 20 déclarent avoir subi des viols ou des tentatives de viol au cours de leur vie.
• Les viols sont peu dénoncés : seules 10 % des victimes portent plainte suite aux viols ou tentatives de viol subi·es.
• Les violeurs restent impunis : seuls 1 % des viols font l’objet d’une condamnation.
Toujours en France, seuls 10 % des viols (et moins de 2 % des viols conjugaux) font l’objet de plaintes (INSEE – ONDRP, 2010 – 2015). Et toutes les plaintes n’aboutissent pas à des condamnations, loin de là : on parle de 1,5 à 2 % de l’ensemble des viols seulement.
La méconnaissance de la définition légale du viol
• 1 Français·e sur 4 considère que forcer une personne à faire une fellation n’est pas un viol, mais une agression sexuelle. Faux.
• 1 Français·e sur 4 considère que réaliser un acte de pénétration avec le doigt sur une personne qui le refuse n’est pas un viol. Faux.
• Plus d’1 Français·e sur 5 estiment qu’il n’y a pas de viol lorsque la personne cède quand on la force. Faux.
• 17 % des Français·es estiment que forcer sa conjointe à avoir un rapport sexuel alors qu’elle le refuse n’est pas un viol. Faux.
Dans l’imaginaire populaire, un viol est le fait d’un inconnu dans une ruelle ou sur un parking désert, la nuit ; la victime est une jolie jeune fille, coquette ; le violeur a recours à la violence physique voire à une arme.
Notre éducation en tant que jeunes filles (ou perçu·es comme telles) est fortement influencée par ce mythe : « Ne sors pas habillée ainsi », « Ne rentre pas seule et pas trop tard », « Demande à quelqu’un·e de te raccompagner », « Restez en groupe »…
Tous ces conseils entretiennent le mythe en question. Ces cas existent, mais ils représentent seulement 20 % des agressions sexuelles.
Dans les faits, 80 % des viols (94 % si on ne prend en compte que les victimes mineures) sont commis par des proches, membres de la famille ou partenaires. Ils se produisent majoritairement au domicile de la victime, sur son lieu de travail ou d’études, et la plupart ont lieu de jour (source : Zucker, 2005, CFCV, 2003).
La mise en cause des victimes de viol
• Pour 27 % des Français·es cela atténue la responsabilité du violeur si la victime portait une « tenue sexy » (mini-jupe, décolleté) : victim-blaming.
• Pour 15 % des Français·es, une victime est en partie responsable de son viol si elle a accepté de se rendre seule chez un inconnu : victim-blaming.
• 4 Français·es sur 10 estiment que si l’ont se défend vraiment autant que l’on peut et que l’on crie, on fait le plus souvent fuir le violeur : victim-blaming.
• 1 Français·e sur 4 considère que si l’on respecte certaines règles simples de précaution on n’a quasiment aucun risque d’être victime de viol : victim-blaming.
Des stéréotypes sexistes qui perdurent
• 2 tiers des Français·es estiment que les hommes ont une sexualité plus simple que les femmes : sexisme.
• 63 % des Français·es considèrent qu’il est plus difficile pour les hommes que pour les femmes de maîtriser leur désir sexuel : sexisme.
• 3 quarts des Français·es estiment que les femmes ont plus tendance à considérer comme violents des évènements que les hommes ne perçoivent pas comme tels : sexisme.
• 1 Français·e sur 4 considère que dans le domaine sexuel, les femmes ne sauraient pas vraiment ce qu’elles veulent par rapport aux hommes : sexisme.
Une forte adhésion à la culture du viol
• 1 Français·e sur 5 considère que beaucoup de femmes qui disent « non » à une proposition de relation sexuelle veulent en fait dire « oui » : culture du viol.
• 40 % des Français·es estiment que si la victime a eu une attitude provocante en public, cela atténue la responsabilité du violeur : culture du viol.
• 1 Français·e sur 5 juge que lors d’une relation sexuelle, les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées : culture du viol.
• 29 % des Français·es pensent qu’à l’origine d’un viol, il y a souvent un malentendu : culture du viol.
Dans le monde :
- Aux Etats-Unis en 1987, seulement 27% des femmes victimes d’une agression correspondant à la definition d’un viol se considèrent victimes de viol[2].
- Aux Etats-Unis, 84% des étudiants hommes ayant commis un viol déclarent ne pas reconnaitre l’agression qu’ils ont commise comme un viol1
- Aux Etats-Unis, 1 étudiant sur 3 déclarent qu’il commettrait un viol s’il pouvait avoir la certitude que cela ne lui poserait aucun problème[3]
- Aux Etats-Unis en 2004, 9% des étudiants hommes admettent commettre des actions qui correspondent à la définition légale du viol[4].
- Au Bangladesh, 82% des hommes vivant en milieu rural et 79% des hommes vivant en milieu urbain citent leur “droit au sexe » comme justification de leur viol. 61.2% des hommes vivant en milieu urbain ayant commis un viol déclarent ne pas s’être sentis coupables ou inquiétés. 95.1% d’entre eux n’ont pas été inquiétés par la justice[5].
- Au Cambodge, 45% des hommes interrogés citent leur “droit au sexe » comme justification de leur viol4.
- Au Lesotho, en 2009, 15% déclarent qu’un mari est légitime s’il frappe ou bat sa femme parce qu’elle refuse d’avoir une relation sexuelle[6].
- En 2013, au Nigéria, 34% d’hommes interrogés sur la question “Selon vous, quelle est la cause la plus fréquente du viol ? » répondent “une tenue vestimentaire indécente”[7].
- En Turquie en 2003, 33% des officiers de police interrogés déclarent que «certaines femmes méritent d’être violées » et 66% considèrent que « l’apparence physique et le comportement d’une femme peut tenter les hommes à violer »[8].
- En Angleterre, 1 tiers des femmes interrogées déclarent que si une femme ne s’est pas défendue, alors elle n’a pas subi un viol. 60% des femmes considèrent qu’une femme qui n’a pas dit “non” n’a pas subi de viol[9].
- Au Canada, pour 1000 agressions s’apparentant à un viol, 33 cas sont déclarés aux autorités, 12 entrainent des poursuites, 6 sont traités en procès, et 3 seulement se terminent par une sentence[10].
Plus loin
antisexisme.net
crepegeorgette.com
memoiretraumatique.org
lelivrenoirdesviolencessexuelles.wordpress.com
stopauxviolences.blogspot.com
stopaudeni.com
remuernotremerde.poivron.org
abompard.wordpress.com : 7 raisons pour lesquelles tant d’hommes ne comprennent pas le consentement sexuel
[1] « [D]ans l’imaginaire collectif, le viol est généralement commis par un homme inconnu de la victime, armé et appartenant à une catégorie défavorisée de la population. Il consiste en une pénétration vaginale ou anale par le pénis, s’accompagne d’une grande violence physique et a lieu la nuit, dans un espace public. C’est le stéréotype du « vrai viol ». » (p.53 de mon livre)
[2] I never called it rape, Robin Warshaw, 1988
[3] Denying Rape but Endorsing Forceful Intercourse: Exploring Differences Among Responders, Edwards Sarah R., Bradshaw Kathryn A., and Hinsz Verlin B., 2014
[4] A longitudinal examination of male college students’ perpetration of sexual assault, Abbey A, McAuslan P.Abbey & McAuslan, 2004
[5] United Nations Multi-country Study on Men and Violence, 2013
[6] DHS 2009
[7] NOI Polls, 2013
[8] Turkish university students’ attitudes toward rape, 2003
[9] Rape Crisis, 2013
[10] YWCA Canada, 2015