Diangelo — la fragilite blanche
Temps de lecture : ~ 20 minutes
La fragilité blanche : pourquoi est-ce si dur de parler aux blancs de racisme ?
Robin Diangelo, juin 2015
Robin DiAngelo est une sociologue états-unienne. Ce texte, publié sous le titre «White Fragility: Why It’s So Hard for White People to Talk About Racism» , fut en tête des ventes au Etats-Unis pendant 2 ans, et est de nouveau massivement lu depuis le meurtre de George Floyd par la police. Il * décrit “l’attitude défensive et la défiance des Blancs lorsque leurs idées sur les questions de racisme sont mises en cause – notamment lorsqu’ils ont le sentiment d’être associés à l’idéologie des suprémacistes blancs”*
Je suis blanche. J’ai passé des années à étudier ce que cela signifie d’être Blanc dans une société qui proclame l’insignifiance de la race, alors que celle-ci structure profondément la société. Voilà ce que j’ai appris : toute personne blanche vivant aux États-Unis va développer des opinions sur la race simplement en baignant dans notre culture. Mais les sources traditionnelles – écoles, manuels scolaires, médias – ne nous fournissent pas les multiples points de vue dont nous avons besoin. Oui, nous allons développer des opinions chargées d’émotions fortes, mais ce ne seront pas des opinions bien informées. Notre socialisation nous rend racialement analphabètes. Lorsque vous y ajoutez un manque d’humilité vis-à-vis de cet analphabétisme (parce que nous ne savons pas ce que nous ne savons pas), vous obtenez la fuite que nous voyons si souvent lorsqu’on essaie d’engager les Blanc-he-s dans des conversations significatives sur la race.
Les définitions courantes du dictionnaire réduisent le racisme à des préjugés raciaux individuels et aux actions intentionnelles qui en résultent. Les personnes qui commettent ces actes intentionnels sont réputées mauvaises, et celles qui ne les commettent pas sont bonnes. Si nous sommes contre le racisme tout en ignorant commettre des actes racistes, nous ne pouvons pas être racistes ; le racisme et le fait d’être une bonne personne, s’excluent mutuellement. Mais cette définition contribue peu à expliquer comment les hiérarchies raciales sont systématiquement reproduites.
Les sciences sociales comprennent le racisme comme un système multidimensionnel et hautement adaptatif – un système qui assure une répartition inégale des ressources entre les groupes raciaux. Parce que les Blanc-he-s ont bâti et dominent toutes les institutions importantes (souvent au détriment et grâce au travail non rémunéré des autres groupes), leurs intérêts sont intégrés dans la fondation de la société états-unienne. Que des personnes blanches puissent être contre le racisme, elles n’en bénéficient pas moins de la répartition des ressources contrôlées par leur groupe.
Oui, une personne racisée [person of color ] peut s’asseoir à la table du pouvoir, mais l’écrasante majorité des décideurs seront blanc-he-s. Oui, les personnes blanches peuvent rencontrer des problèmes et faire face à des obstacles, mais le racisme systématique ne sera pas l’un d’eux. Cette distinction – entre les préjugés individuels et un système de pouvoir institutionnalisé racialement inégal – est fondamentale. On ne peut comprendre comment fonctionne le racisme aux États-Unis aujourd’hui si l’on ignore les relations de pouvoir entre groupes.
Ce contrôle systémique et institutionnel permet à celles et ceux d’entre nous qui sont blanc-he-s en Amérique du Nord de vivre dans un environnement social qui nous protège et nous isole du stress causé par la race. Nous avons organisé la société afin de reproduire et de renforcer nos intérêts et perspectives raciaux. De plus, nous sommes le centre de toutes les questions considérées comme normales, universelles, bénignes, neutres et bonnes. Ainsi, nous nous déplaçons dans un monde entièrement racialisé avec une identité déracialisée (par exemple, les Blanc-he-s peuvent représenter l’ensemble de l’humanité, les personnes racisées seulement leurs semblables). Les défis à cette identité deviennent très stressants et même intolérables. Voici des exemples du genre de défis qui déclenchent du stress racial aux Blanc-he-s :
- Suggérer que le point de vue d’une personne blanche provient d’un cadre de référence racialisé (défi à l’objectivité);
- Personnes racisées qui parlent ouvertement de leurs propres perspectives raciales (défi aux tabous blancs à parler ouvertement de race);
- Personnes racisées qui choisissent de ne pas ménager les sentiments raciaux de personnes blanches à propos de la race (défi aux attentes raciales des Blanc-he-s et au besoin/droit au confort racial);
- Personnes racisées pas prêtes à raconter leurs histoires ou à répondre aux questions sur leurs expériences raciales (défi à la perspective selon laquelle les personnes racisées nous serviront);
- Un-e Blanc-he ne consentant pas aux perspectives raciales d’un-e autre Blanc-he (défi à la solidarité blanche);
- Être confronté-e à une réaction sur l’impact raciste de son propre comportement (défi à l’innocence raciale blanche);
- Suggérer que l’appartenance au groupe est significative (défi à l’individualisme);
- Recevoir une information sur le fait que l’accès est inégal entre les groupes raciaux (défi à la méritocratie);
- Être confronté-e à une personne racisée qui est dans une position de leadership (défi à l’autorité blanche);
- Être confronté-e à des informations sur d’autres groupes raciaux, par exemple à travers des films dans lesquels les personnes racisées mènent l’action mais ne sont pas dans des rôles stéréotypés ou dans l’éducation à la diversité (défi à la centralité blanche).
Dans les rares cas où nous sommes confronté-e-s à ces défis, nous nous retirons, nous nous défendons, pleurons, argumentons, minimisons, ignorons, et par tous les moyens repoussons ces défis pour regagner notre position raciale et l’équilibre. J’appelle cette action précise consistant à tout repousser, la fragilité blanche.
Ce concept est issu de mon expérience en cours menée à travers des discussions sur la race, le racisme, le privilège blanc et la suprématie blanche avec des auditoires principalement blancs. Il est devenu clair au fil du temps que les personnes blanches ont des seuils de tolérance extrêmement faibles pour endurer tout inconfort vis-à-vis de ce qui défie nos visions du monde raciales. Nous pouvons gérer le premier round de défi en mettant fin à la discussion grâce à des platitudes – généralement quelque chose qui commence par « les gens ont juste besoin de », ou « la race n’a pas vraiment d’importance pour moi », ou « tout le monde est raciste ». Grattez plus loin que ce vernis, cependant, et nous nous écroulons littéralement.
Socialisé-e-s à travers un sens profondément intériorisé de supériorité et de droit, dont nous ne sommes pas conscient-e-s et que nous ne pouvons pas admettre, nous devenons très fragiles dans les conversations sur la race. Nous éprouvons tout défi à notre vision du monde raciale comme un défi à nos propres identités conçues comme bonnes et morales. Cela conteste aussi notre sens de la place qui nous revient dans la hiérarchie. Ainsi, nous percevons toute tentative visant à nous connecter au système du racisme comme une injuste et très inquiétante offense morale.
Les motifs suivants font qu’il est difficile pour les personnes blanches de comprendre le racisme comme un système et ces motifs conduisent à la dynamique de la fragilité blanche. Bien qu’ils ne soient pas applicables à toute personne blanche, ils sont bien connus dans l’ensemble :
Ségrégation : la plupart des Blanc-he-s vivent, grandissent, jouent, apprennent, aiment, travaillent et meurent principalement dans une ségrégation raciale, à la fois sociale et géographique. Pourtant, notre société ne nous enseigne pas à voir cela comme un manque. Arrêtons-nous un moment et considérons l’ampleur de ce message : nous ne perdons rien en termes de valeur en n’ayant pas de relations inter-raciales. En fait, plus nos écoles et nos quartiers sont blancs, plus ils sont susceptibles d’être considérés comme « bons ». Le message implicite est qu’il n’y a pas de valeur inhérente à la présence ou aux perspectives des personnes racisées. Ceci est un exemple des messages incessants de la supériorité blanche qui circulent tout autour de nous, façonnant nos identités et nos visions du monde.
Binarisme bon/mauvais : l’adaptation la plus efficace du racisme dans le temps est l’idée que le racisme consiste en des préjugés conscients tenus par des personnes moyennes. Si nous sommes conscient-e-s de ne pas avoir de pensées négatives sur les personnes racisées, de ne pas raconter de blagues racistes, d’être des gens sympas, et même d’avoir des ami-e-s racisé-e-s, alors nous ne pouvons pas être racistes. Ainsi, une personne est raciste ou ne l’est pas ; si une personne est raciste, cette personne est mauvaise ; si une personne n’est pas raciste, cette personne est bonne. Bien que le racisme se manifeste évidemment à travers des actes particuliers, ces actes font partie d’un système plus vaste auquel nous participons tou-te-s. L’accent mis sur les incidences individuelles empêche l’analyse qui est nécessaire pour contester ce système plus vaste. La binarité bon/mauvais est le malentendu fondamental qui conduit les Blanc-he-s à être sur la défensive dès qu’il s’agit de les connecter au racisme. Nous ne comprenons tout simplement pas comment la socialisation et les préjugés implicites fonctionnent.
Individualisme : les Blanc-he-s ont appris à se voir comme des individus, plutôt que comme faisant partie d’un groupe racial. L’individualisme nous permet de nier que le racisme est structuré dans le tissu de la société. Cela efface notre histoire et cache la manière dont la richesse s’est accumulée au fil des générations et nous profite aujourd’hui, comme groupe. Cela nous permet également de prendre nos distances avec l’histoire et les actions de notre groupe. Ainsi, nous sommes très irritables lorsque nous sommes « accusé-e-s » de racisme, parce qu’en tant qu’individus, nous sommes « différent-e-s » des autres personnes blanches et attendons d’être vu-e-s en tant que tel-le-s ; nous trouvons intolérable toute suggestion que notre comportement ou que nos perspectives soient typiques de notre groupe dans son ensemble.
Droit au confort racial : en position dominante, les Blanc-he-s sont presque toujours racialement à l’aise et ont donc développé des perspectives infaillibles pour le rester. Nous n’avons pas eu à bâtir une quelconque forme de tolérance à l’inconfort racial et donc lorsque cet inconfort se présente, les Blanc-he-s répondent généralement comme si quelque chose était « mauvais », et blâment la personne ou l’événement qui a déclenché le malaise (habituellement une personne racisée). Cette attitude provient d’un déploiement socialement construit de réponses envers la source présumée de l’inconfort, y compris : la pénalisation, les représailles, l’isolement et le refus de poursuivre l’engagement. Vu que le racisme est nécessairement inconfortable en ce qu’il est oppressif, l’insistance blanche sur le confort racial garantit que le racisme ne sera pas contesté, sauf de la plus superficielle des façons.
Arrogance raciale : la plupart des Blanc-he-s ont une compréhension très limitée du racisme parce que nous n’avons pas été formé-e-s à penser de façon complexe à ce sujet et parce que cela bénéficie à la domination blanche de ne pas le faire. Pourtant, nous n’avons aucun scrupule à remettre en question les connaissances de personnes qui ont pensé de façon complexe sur la race. Les Blanc-he-s se sentent généralement libres de rejeter ces perspectives bien informées plutôt que d’avoir l’humilité de reconnaître qu’ils ne sont pas familiers, doivent réfléchir davantage sur eux-mêmes, ou demander plus d’informations.
Appartenance raciale : les Blanc-he-s jouissent d’un sens très intériorisé et largement inconscient de l’appartenance raciale dans la société états-unienne. Dans pratiquement chaque situation ou image réputées précieuses dans la société dominante, les Blanc-he-s sont à leur place. L’interruption de l’appartenance raciale est rare et donc déstabilisante et effrayante pour les Blanc-hes. Elle est généralement évitée.
Liberté psychique : parce que la race est construite comme inhérente aux personnes racisées, les Blanc-he-s ne portent pas le fardeau social de la race. Nous nous déplaçons facilement à travers notre société, sans un sentiment de nous-mêmes comme étant racialisé-e-s. C’est aux personnes racisées de penser à la race – c’est ce qui « leur » arrive – ils peuvent poser le problème sur la place publique si c’est un problème pour elles et eux (même si elles et ils le font, nous pouvons le rejeter comme un problème personnel, l’éternelle carte raciale, ou la raison de leurs problèmes). Cela donne aux Blanc-he-s beaucoup plus d’énergie psychologique pour se consacrer à d’autres questions et nous empêche de développer l’endurance nécessaire pour maintenir l’attention sur une question aussi chargée et inconfortable que la race.
Messages constants à propos de notre supériorité : vivant dans un contexte dominant blanc, nous recevons des messages constants selon lesquels nous sommes meilleur-e-s et plus important-e-s que les personnes racisées. Par exemple : notre centralité dans les manuels d’histoire, dans les représentations et perspectives historiques ; notre centralité dans les médias et la publicité ; nos enseignant-e-s, modèles, héros et héroïnes ; le discours quotidien sur les « bons » quartiers et les « bonnes » écoles et qui on y trouve ; les émissions de télévision populaires centrées autour de cercles d’amitié qui sont entièrement blancs ; l’iconographie religieuse qui représente Dieu, Adam et Eve, et d’autres figures clés comme blanches. Si l’on peut rejeter explicitement la notion que l’on est intrinsèquement meilleur-e-s que l’autre, on ne peut pas éviter l’intériorisation du message de la supériorité blanche, car il est omniprésent dans la culture dominante.
Ces privilèges et la fragilité blanche qui en découle, nous empêchent d’écouter ou de comprendre les points de vue des personnes racisées et de combler les fossés raciaux. L’antidote à la fragilité blanche nécessite constance tout au long de sa vie, et comprend un engagement soutenu, l’humilité et l’éducation. Nous pouvons commencer par :
- Être disposé-e-s à tolérer l’inconfort associé à une évaluation et une discussion honnêtes de notre supériorité intériorisée et de notre privilège racial.
- Contester notre propre réalité raciale en nous reconnaissant nous-mêmes comme des êtres raciaux, dotés d’une perspective particulière et limitée sur la race.
- Tenter de comprendre les réalités raciales des personnes racisées grâce à l’interaction authentique plutôt que par les médias ou les relations inégales.
Prendre des mesures pour aborder notre propre racisme, le racisme des autres Blanc-he-s, et le racisme intégré dans nos institutions – c’est-à-dire s’instruire et agir.
Faites cela quand la race et le racisme remettent en question nos identités de bonnes personnes blanches. C’est un processus continu et souvent douloureux de chercher à débusquer notre socialisation à ses racines mêmes. Cela nous demande de reconstruire cette identité par des moyens nouveaux et souvent inconfortables. Mais je peux témoigner du fait que c’est aussi le voyage le plus excitant, puissant, stimulant intellectuellement et émotionnellement enrichissant que j’aie pu entreprendre. Cela a touché tous les aspects de ma vie – personnelle et professionnelle.
J’ai une compréhension plus profonde et complexe de la manière dont la société fonctionne. Je peux affronter davantage le racisme dans ma vie quotidienne, et j’ai développé d’épanouissantes et précieuses amitiés inter-raciales, que je n’avais pas auparavant.
Je ne m’attends pas à ce que le racisme disparaisse de mon vivant, et je sais que je continue à avoir des modèles et des perspectives racistes problématiques. Pourtant, je suis également confiante dans le fait que je fais moins de mal qu’avant aux personnes racisées. Cela n’est pas une progression mineure, quand on pense à l’impact du racisme sur mon expérience vécue et celle des personnes racisées qui interagissent avec moi. Si vous êtes Blanc-he, je vous exhorte à faire le premier pas : lâchez vos certitudes raciales et tendez vers l’humilité.
11 conseils pour être un-e bon-ne allié-e
Article coécrit par Lysandra, Sarah Zouak et Justine Devillaine
Article écrit par trois membres de l’association Lallab[1] et publié sur leur site. Lallab est un magazine en ligne et une association dont le but est de faire entendre les voix des femmes musulmanes qui sont au cœur d’oppressions racistes et sexistes.
« Quand on présente l’association Lallab, c’est «drôle» mais on ne
reçoit pas du tout les mêmes retours ! «On» c’est Sarah, musulmane et
Justine, athée, toutes deux cofondatrices de Lallab, réalisatrices de la
série documentaire Women SenseTour in Muslim Countries[2] et féministes
!
C’est simple, lorsque c’est Justine qui présente l’association on lui
dit généralement que «c’est génial ce qu’elle fait», que c’est même
«très altruiste de sa part d’aider les femmes musulmanes». Alors que
lorsque c’est Sarah on lui rétorque plutôt que «c’est quand même un
projet super communautaire, qu’il faudrait aussi parler des
discriminations vécues par d’autres femmes». Certain.e.s rajoutent même
qu’elle est «trop concernée par le sujet, trop passionnée et qu’elle n’a
pas le recul nécessaire pour être très objective». Clairement, dans
notre société, la parole d’une femme blanche et athée a plus de poids
que celle d’une femme musulmane, même pour parler de son propre vécu.
Rappelons-le : la mission de Lallab est centrée sur les femmes
musulmanes et l’une des valeurs centrales de l’association est la parole
aux concernées. Mais à l’image de notre duo, les membres de Lallab –
majoritairement des femmes – sont également très plurielles ! Puisque
nous ne souhaitons surtout pas reproduire les rapports de domination de
la société en notre sein, se pose donc la question de la place de
chacun.e dans l’association et notamment des membres qui ne sont pas des
femmes musulmanes, c’est à dire les « allié.e.s » !
Nous sommes tou.te.s les privilégié.e.s de quelqu’un
Le mot privilège à tendance à faire peur et à braquer les gens «comment
pourrais-je être privilégié.e alors que je n’ai plus rien à manger à la
fin du mois ?». Le mot privilège est souvent associé à la richesse,
alors que le concept tel qu’employé ici est beaucoup plus large. Un
privilège, c’est un pouvoir ou une immunité particulière que l’on
détient sans avoir fait d’effort pour l’obtenir, et qui nous facilite la
vie sans qu’on en ait nécessairement conscience, et sans qu’on l’ait
demandé. Ce n’est ni bien ni mal en soi, mais c’est important d’en avoir
conscience.
Être valide, par exemple, c’est être en position de privilège face à une
personne en situation de handicap, pour qui le simple fait de se
déplacer peut être un combat de chaque instant, ou qui met parfois des
années à faire reconnaître sa pathologie, … Dans le vocabulaire
militant, on insiste sur le fait qu’il est important de « checker ses
privilèges », c’est-à-dire de faire un travail personnel pour savoir où
sont nos privilèges pour éviter de participer, consciemment ou non, à un
système oppresseur.
Chez Lallab, nous cherchons à créer une société plus juste et égale pour toutes les femmes sans porter de jugement sur les identités ou les choix de celles ci. Nous sommes donc tou.te.s des allié.e.s. Mais comment être un.e bon.ne allié.e ?
1) Écouter & apprendre à se taire
L’une des règles les plus importantes du rôle d’allié.e est de ne pas
prendre tout l’espace en monopolisant la parole. Vous pouvez certes
participer si votre contribution est enrichissante, ou en posant des
questions pertinentes ou qui peuvent faire avancer le débat, mais sachez
garder une place marginale. Etre l’allié.e d’une personne, c’est savoir
rester à sa place de « non concerné.e » par une oppression : il faut
savoir être à l’écoute du ressenti, du témoignage, des analyses, des
solutions proposées. Il faut savoir être une oreille bienveillante.
Si un sujet vous met mal à l’aise, vous êtes parfaitement libre de ne
pas vous y engager et de laisser les personnes concerné.e.s débattre.
2) Lire & se renseigner
Un.e allié.e s’éduque constamment et n’attend pas des concerné.e.s qu’ils/elles fassent le travail à sa place. Il est important de faire ses recherches et pas d’épuiser les concerné.e.s avec ses questions. Lisez et apprenez des expériences des personnes concernées. Google – ou Lilo – est votre ami.
3) Accepter les critiques
Face à la critique, il est important de ne pas se mettre sur la défensive, mais plutôt d’écouter, de s’excuser, de prendre ses responsabilités et de faire en sorte de modifier son comportement. N’attendez pas que le respect de vos sentiments soient la priorité des personnes blessées par vos actes ou vos propos, et concentrez-vous sur le fond plutôt que la forme. Le tone policing[3] est une arme de silenciation en ce qu’elle permet de mettre un terme à une discussion en poussant ses participant.e.s à la colère pour mieux délégitimer leurs discours.
4) Ne pas prendre toute la place
Quand on est allié.e d’une cause, l’idée n’est pas de tout ramener à soi
et de se mettre en avant. L’idée est justement de mettre en avant les
personnes concernées et de les aider de la manière dont elles le jugent
le plus pertinent.
Ne pas en faire une question d’égo : il est important de ne pas
s’engager juste pour briller en société ou se faire passer pour une
personne géniale et tellement ouverte d’esprit, mais par réelle
conviction, par envie de faire bouger la société.
Tant mieux si cela permet de vous enrichir, pour votre propre
développement personnel, et c’est même essentiel, mais gardez en tête
que vous êtes ici pour l’intérêt général et pas uniquement pour le
vôtre.
Par exemple, en janvier dernier, lors de la participation de Lallab à l’Emission Politique[4], France 2 a insisté pour que l’invitée face à Manuel Valls, soit Sarah cofondatrice de Lallab. Nous nous sommes battues pendant plusieurs jours auprès de la chaîne télévisée pour que l’invitée soit Attika, trésorière de Lallab. Pourquoi ? Tout simplement parce que le sujet portait sur la question du voile en France et Sarah est certes musulmane mais ne porte pas le foulard. Chez Lallab, nous avons une règle simple : toujours donner la parole aux principales concernées ! Sarah n’ayant pas la légitimité de s’exprimer au nom de celles qui portent le foulard, elle a tout simplement « passé le micro » à Attika !
5) Se concentrer sur le dialogue avec les personnes qui ont la même identité
Votre rôle d’allié.e est également de combattre les oppressions, d’éduquer vos proches x-phobes x-cistes, dans le but que ces personnes ne diffusent pas leur propos nauséabonds auprès des personnes concernées. Et oui, cela signifie que vous allez vraiment avoir une conversation avec votre tata qui n’est pas raciste mais qui trouve qu’il y a quand même beaucoup de femmes voilées en France 😉
6) Ne pas prendre de pause
Les personnes racisées doivent faire face au racisme tous les jours,
sans jamais pouvoir y échapper, les femmes subissent la misogynie
perpétuellement, dans leur travail et au sein même de leur foyer.
De la même manière, en tant qu’allié.e.s vous ne pouvez pas vous taire
quand « cela vous arrange », ou juste quand vous avez la flemme. Se
montrer solidaire, c’est aussi partager ce fardeau de la déconstruction,
et ne pas le laisser uniquement aux personnes concernées.
7) Être allié.e n’est pas une identité, mais un processus
Être allié.e est un but jamais vraiment atteint, il y a toujours des choses à apprendre, à mieux faire, c’est un processus qui ne finit jamais. Ce n’est pas non plus un titre que l’on peut se donner à soi-même. Ce n’est qu’au regard de vos actes et de votre attitude que le groupe, et surtout les personnes concernées, pourront déterminer si vous pouvez rester dans un espace safe ou si au contraire vous le polluez par vos interventions, par votre manque de remise en question. Ce n’est pas une identité parce que « être allié.e » n’absout pas de toutes les choses dites et faites dans le passé, ni ne protège d’erreurs dans le futur.
8) Ne pas se servir d’une caution « oppressée »
Il ne suffit pas d’avoir un.e ami.e dans une situation d’oppression (la
fameuse amie noire de Nadine ♥) pour prétendre avoir une connaissance
générale du vécu de toutes les personnes vivant cette même oppression.
Pire, vous ne pouvez utiliser cet.te ami.e, ou même sa parole afin de
conforter, de légitimer un discours raciste.
Par exemple : je connais une fille, c’est son père qui l’oblige à porter
le voile, cela signifie donc que toutes les femmes voilées sont obligées
de le faire.
9) Ne pas jouer pas aux jeux Olympiques de l’oppression
Vous êtes au milieu d’une conversation sur le racisme ? Donc non, ce n’est pas le moment pour parler d’une autre discrimination que vous vivez. Être oppressé.e sur certains sujets ne vous octroie pas un « free pass » pour ne pas rester dans votre rôle d’allié.e sur des sujets qui ne vous concerne pas. Ne déraillez pas la conversation. Il n’est pas toujours question de vous.
10) Ne pas monopoliser l’énergie et la force mentale
Les allié.e.s ne peuvent demander aux personnes en situation d’oppression d’essuyer leur larmes parce que cette situation les attriste profondément ; ils/elles ne peuvent pas non plus épuiser ces personnes en leur racontant toutes les situations d’oppression dont ils/elles ont été témoins. Ces oppressions, votre interlocuteur/trice les connaît, les vit au quotidien et n’a pas nécessairement envie que vous les lui rappeliez constamment.
11) Ne pas baisser les bras !
Le chemin de la déconstruction est long et parfois douloureux. Parfois, vous serez épuisé.e.s. Alors n’oubliez pas de prendre soin de vous. Et rappelez-vous, ça en vaut vraiment la peine : on change le monde !
Plus loin
*« Race », racisme et privilèges, *par Horia Kebabza
privilegesblanc.wordpress.com
Les privilèges de la blanchité, par Peggy Mc Intosh, 1998
De quelle couleur sont les Blancs ?, par Laurent Dornel (extrait à lire sur le site contetemps.eu)
[2] http://www.lallab.org/women-sense-tour/
[3] http://www.lallab.org/feministes-enervees-et-fieres-de-letre/
[4] http://www.lallab.org/lallab-dans-lemission-politique-du-5-janvier-2017-sur-france-2/