CLHEE — Manifeste
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Manifeste du Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation
Manifeste publié le 12 avril 2016, signé par Elena Chamorro (Aix-en-Provence), Elisa Rojas (Paris), Lény Marques (Clermont-Ferrand), Mathilde Fuchs (Rennes)
Qui sommes-nous ?
Nous sommes un groupe de militant·e·s et d’activistes directement concerné·e·s par le handicap.
Nous faisons l’amer constat qu’en France aucun mouvement militant, activiste et autonome de défense des personnes handicapées n’a pu voir le jour et s’installer durablement dans le paysage des luttes d’émancipation.
Certain·e·s d’entre nous ont pris part [en 2015] [1] au collectif « Non au report » [de la loi sur l’accessibilité des lieux publics] et se sont mobilisé·e·s contre la récente réforme du volet accessibilité de la loi [« pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées »] de 2005.
À cette occasion, ils et elles ont pu constater, d’une part que de nouvelles formes d’activismes pouvaient prendre corps, entre autres via les réseaux sociaux, et servir le combat des personnes handicapées. D’autre part, qu’il était non seulement possible mais indispensable de s’organiser en dehors des associations gestionnaires [d’institutions spécialisées] qui ont depuis longtemps démontré le caractère inefficace voire préjudiciable de leurs actions.
Après la campagne « Non au report de 2015 », il nous a semblé essentiel de poursuivre notre travail au-delà de la question de l’accessibilité et de nous inviter dans tous les débats qui nous concernent.
Nous ne prétendons pas représenter l’ensemble des personnes handicapées. Nous sommes bien placé·e·s pour savoir qu’elles ne constituent pas un bloc homogène de personnes partageant les mêmes positions et aspirations. Nous prétendons uniquement défendre les convictions qui sont les nôtres et les idées émancipatrices que nous souhaitons voir avancer.
Par conséquent, nous ne représentons que les personnes handicapées qui le souhaitent, qui se reconnaissent dans le présent manifeste, partagent nos analyses et notre envie de structurer une lutte pour la défense de nos intérêts et de nos droits.
Nous sommes, à l’origine de ce collectif, tous concerné·e·s par le handicap moteur. Néanmoins nous ne sommes pas sans savoir que nos réflexions et nos combats sont communs à d’autres types de handicap, visibles ou non, et que des convergences sont possibles entre personnes handicapées partageant les mêmes objectifs, tous handicaps confondus.
Nous sommes même convaincu·e·s qu’il est nécessaire de nous organiser davantage par communauté de pensée plutôt que par type de handicap, et sommes ouverts à toute initiative en ce sens.
Que voulons-nous ?
Nous revendiquons :
La lutte pour la désinstitutionnalisation
Nous entendons promouvoir la désinstitutionnalisation, ce qui signifie pour nous la fin du placement des personnes handicapées mineures ou majeures en structures, dites « spécialisées », spécifiquement conçues pour les accueillir.
Depuis des décennies, la France a favorisé le regroupement et la relégation des personnes handicapées dans des institutions qui sont devenues pour elles les principaux lieux de résidence, de scolarité, de travail, en un mot de vie et de « prise en charge » collective.
À l’heure actuelle, au mépris des textes et recommandations internationales relatives au handicap, la France continue de présenter l’institutionnalisation comme la réponse privilégiée aux besoins spécifiques réels ou supposés des personnes handicapées.
Or, l’institutionnalisation constitue une ségrégation sociale et spatiale inacceptable.
Elle rend impossible pour les personnes handicapées l’exercice plein et entier de leurs droits.
Elle porte notamment atteinte à la liberté des personnes handicapées, qui se retrouvent le plus souvent contraintes de vivre en institution faute d’alternative et dont la vie quotidienne se trouve ainsi régie et contrôlée par des professionnels du secteur médico-social.
Par son fonctionnement en vase clos et la faiblesse des contrôles extérieurs, l’institutionnalisation favorise également les situations d’abus, d’exploitation salariale, d’atteintes à la vie privée et de maltraitance des personnes handicapées.
Nous exigeons par conséquent la mise en œuvre d’une politique destinée à :
- Mettre à la disposition des personnes handicapées et des parents d’enfants handicapés les services et soutiens de proximité (médicaux, financiers, psychosociaux, pédagogiques et éducatifs) de qualité et suffisants pour la vie autonome des adultes et celle des enfants au sein de leur famille.
- Associer les personnes concernées à l’élaboration de ces nouvelles offres de services.
- Mettre un terme à la construction de nouveaux établissements en s’abstenant de les autoriser ou de les financer.
- Désinstitutionnaliser tou·te·s ceux et celles qui se trouvent en institution, prévenir les éventuels nouveaux placements et la prolongation inutile des séjours en institution.
Contrairement à ce que soutiennent les pouvoirs publics français et les associations gestionnaires d’institutions spécialisées, les besoins d’accompagnement permanents et complexes de certaines personnes handicapées ne sont pas un obstacle à leur vie en dehors des institutions et ce, quel que soit le handicap.
Au nom du principe d’égalité et de non-discrimination, il appartient aux pouvoirs publics de développer des alternatives permettant aux personnes handicapées de sortir des institutions et ainsi de jouir pleinement de leurs droits fondamentaux, dont celui de mener une vie autonome.
La défense de la vie autonome
Nous revendiquons le droit de faire nos propres choix de vie, de définir nos propres besoins, de prendre nos propres décisions sans contrôle « professionnel » extérieur, c’est-à-dire de mener une vie autonome.
Cette liberté de choix exige des moyens humains, matériels et financiers. Elle implique notamment :
- Des ressources financières suffisantes permettant aux personnes handicapées, notamment celles qui ne travaillent pas, de subvenir à leurs besoins, d’assumer leur choix de vie et de vivre dans des conditions dignes.
- L’existence de systèmes d’aides humaines de qualité et personnalisés, à hauteur des besoins réels, pour les adultes comme pour les enfants handicapés qui en ont besoin.
- Des offres de services, d’accompagnement et de compensation variées et ajustables permettant aux personnes concernées de pourvoir à leurs besoins de toute nature (matériels, médicaux, para-médicaux, etc.)
- Une accessibilité généralisée des équipements et services publics et privés.
La lutte contre le validisme, les discriminations et l’handiphobie
La lutte contre le validisme
Nous affirmons que le handicap est un fait, une donnée de l’existence avec laquelle les personnes concernées composent au quotidien, et qu’il n’appartient pas aux personnes dites valides de le connoter arbitrairement, positivement ou négativement.
Il est aussi une construction issue de processus sociaux et historiques qui ont conduit à disqualifier, stigmatiser et marginaliser les personnes handicapées.
Nous entendons donc dénoncer et combattre le validisme qui fait de la personne valide en bonne santé la norme universelle et l’idéal à atteindre.
Le validisme se caractérise par la conviction de la part des personnes valides que leur absence de handicap et/ou leur bonne santé leur confère une position plus enviable et même supérieure à celle des personnes handicapées.
Il associe automatiquement la bonne santé et/ou l’absence de handicap à des valeurs positives telles que la liberté, la chance, l’épanouissement, le bonheur, la perfection physique, la beauté.
Par opposition, il assimile systématiquement le handicap et/ou la maladie à une triste et misérable condition, marquée entre autres par la limitation et la dépendance, la malchance, la souffrance physique et morale, la difformité et la laideur.
Le validisme suppose que la plupart des personnes handicapées se consument dans la plainte, l’aigreur, la frustration ou le regret de ne pas être valides.
Il se traduit par des discours, actions ou pratiques paternalistes, condescendants et dénigrants à l’égard des personnes handicapées, qui les infériorisent, leur nient toute possibilité d’être satisfaites de leur existence et leur refusent le droit de prendre en main leur propre vie.
Il exige de surcroît que les personnes handicapées fassent preuve de docilité, de déférence et de reconnaissance à l’égard des personnes valides, en particulier lorsque ces dernières leur apportent une aide quelconque ou s’intéressent à leur sort.
Le validisme peut être le fait de personnes handicapées elles-mêmes qui, ayant intériorisé l’ensemble des préjugés qui les concernent, adhèrent à tous les présupposés validistes.
La lutte contre l’handiphobie
Nous entendons dénoncer et combattre l’expression publique ouverte et décomplexée du rejet ou du dégoût qu’inspire le handicap à certaines personnes valides et qui s’apparente à de « l’handiphobie ».
La lutte contre les discriminations et pour le respect de nos droits
Nous entendons dénoncer et combattre les discriminations systémiques liées au handicap et à la maladie dans tous les secteurs.
Nous entendons lutter pour le respect de nos droits, pour la liberté de circulation, l’accessibilité généralisée et l’égalité.
Nous demandons un égal accès à la liberté de choix de nos lieux et mode de vie ; aux soins ; à l’éducation et à la formation professionnelle ; à l’emploi ; au logement ; aux sports, aux loisirs et à la culture ; à l’information.
La promotion de représentations justes de nous-mêmes
En tant que membres à part entière de la société, il est indispensable que nous soyons représenté.e.s partout, dans toutes ses sphères, y compris dans les médias.
Nous revendiquons cependant un traitement juste, nuancé et respectueux des personnes handicapées, qui évite tout sensationnalisme et qui rende compte de leur diversité, ainsi que de celle de leurs idées et leurs actions.
Le discours médiatique consacré au handicap doit sortir du registre de l’émotion et être replacé dans son contexte économique, social et politique, ce à quoi notre collectif entend participer activement.
Ainsi, nous entendons dénoncer notamment avec la même force :
- Le discours misérabiliste qui consiste à nous présenter comme des êtres de souffrance, vivant dans la limitation, la plainte, la frustration et le regret, uniquement objets de soins, de préoccupation et d’attention pour nos proches et comme des charges pour la société.
- Toutes les formes d’« inspiration porn » qui nous objectivisent, nous essentialisent, et présentent certains d’entre nous, qui auraient prétendument « transcendé » leur condition, comme des héros ou héroïnes, des êtres dotés de qualités exceptionnelles et des sources inépuisables d’inspiration pour les personnes valides.
L’un comme l’autre est une représentation condescendante et manichéenne de nous-mêmes que nous ne pouvons pas accepter.
Qu’elles suscitent la compassion ou l’admiration, elles reposent sur des fantasmes et n’ont pour objectif que de conforter les personnes valides dans leurs préjugés.
Elles occultent de surcroît sciemment les discriminations subies par les personnes handicapées, ainsi que les véritables causes de leurs difficultés, tout en déresponsabilisant les acteurs publics et privés qui en sont à l’origine.
Les personnes handicapées ne sont pas là pour rassurer les valides sur leur propre sort, leur servir de source d’inspiration, de faire-valoir ou de curseur de la souffrance.
Elles n’ont pas à démontrer continuellement leur capacité à mener une vie ordinaire ou à atteindre leurs objectifs.
Enfin, les personnes handicapées ne sont pas interchangeables. Elles sont diverses et variées dans leurs opinions et leurs personnalités.
La défense d’une sexualité libre et non marchande, incompatible avec l’instauration d’une assistance sexuelle
Les personnes handicapées sont des êtres sexués et des partenaires potentiel·le·s à part entière au même titre que les autres, aux attentes et orientations sexuelles variées.
S’il est vrai que des limites physiques et/ou psychiques peuvent rendre difficile l’accès de certaines personnes handicapées à une vie affective et sexuelle, elles ne peuvent expliquer, à elles seules, les obstacles rencontrés dans ce domaine.
De multiples barrières sociales, telles que le manque d’accessibilité ou la vie en institution, mettent les personnes handicapées à l’écart de la cité et restreignent leurs libertés et possibilités de rencontres.
À ces préjugés propres au handicap s’ajoutent les stéréotypes d’ordre général sur la sexualité, la féminité, la virilité et la beauté. Véhiculés par les médias, la publicité, la pornographie, ils confortent l’idée que le sexe est indispensable à l’épanouissement, qu’il est lié au physique, à la santé et qu’il est une performance.
Dans un cadre aussi étriqué et normalisant, la sexualité des personnes handicapées ne peut trouver de place.
Comme principale réponse à ces difficultés, certaines personnes concernées demandent l’instauration d’un service d’assistance sexuelle.
Or, nous sommes fondamentalement opposé·e·s à la mise en place d’un tel système.
En effet, l’assistance sexuelle relève d’une approche médicale passéiste du handicap.
L’assistance sexuelle suppose que les personnes handicapées constituent un groupe homogène avec une sexualité « spécifique » à laquelle elle serait la plus apte à répondre et associe à tort l’assistance sexuelle aux soins, dont elle serait une sorte de prolongement.
Elle offre une réponse stigmatisante vers laquelle toutes les personnes handicapées, y compris les non « bénéficiaires », seront systématiquement renvoyées et qui les enfermera dans une sexualité de seconde zone, marginale et étrange.
L’assistance sexuelle entretient des liens ambigus avec la prostitution.
Dans l’hypothèse d’un service payant, l’assistance sexuelle ne serait qu’une « spécialité » au sein de la prostitution, considérée comme valorisante car s’adressant à un public « indésirable », « intouchable », totalement rejeté sans cette solution.
Tout comme la prostitution, le système s’adresserait d’abord aux hommes handicapés qui feraient le même raisonnement que les clients de prostitué·e·s : leurs besoins sexuels sont irrépressibles et vitaux. Il doit exister un système pour les satisfaire.
L’assistance sexuelle serait dès lors un système misogyne et archaïque de marchandisation du corps supplémentaire, mais acceptable, qui demanderait à être reconnu légalement, à titre exceptionnel.
Dans l’hypothèse d’un service gratuit, ou rémunéré à titre symbolique, c’est-à-dire quasiment gratuit, il s’agirait d’un acte de bienfaisance réalisé par des volontaires qui seraient persuadés de faire une bonne action qui les grandirait.
Nous rejetons donc la solution simpliste et conformiste que constitue l’assistance sexuelle qui, selon nous :
- S’inscrit à la fois dans la logique économique libérale qui présente le sexe comme un service commercial, dont elle nous propose d’être consommateurs·trices, et dans une vision judéo-chrétienne qui appréhende la personne handicapée comme objet de charité.
- Ne remet pas en cause le système de valeurs et les représentations en vigueur dans notre société.
- Ne va ni dans le sens de l’émancipation et de l’autonomie des personnes handicapées, ni de leur libération sur un plan sexuel.
Nous revendiquons l’accès à une sexualité libre et non marchande, qui implique de la réciprocité dans le désir et un échange égalitaire qui ne peut exister ni dans le rapport marchand ni dans le rapport caritatif.
Nous exigeons que soient favorisés :
- L’éducation sexuelle dès le plus jeune âge afin que les personnes handicapées puissent se percevoir comme des partenaires à part entière.
- Le développement des solutions techniques existantes qui pourraient aider les personnes handicapées dans leur sexualité.
- La déconstruction des préjugés liés aux genres, aux représentations du sexe et du handicap qui entravent la sexualité des personnes handicapées.
L’inscription de notre combat dans l’ensemble des luttes d’émancipation
Nous pensons qu’au même titre que d’autres groupes sociaux minoritaires et/ou marginalisés, les personnes handicapées subissent une oppression systémique de la part des personnes valides qui se sont depuis longtemps arrogé le droit de décider à leur place de la façon dont elles devaient mener leur vie.
Nos limitations, notre état de dépendance, nos besoins spécifiques, qu’ils soient réels ou supposés, ont toujours servi de prétexte pour justifier l’ensemble des mesures prises dans le domaine du handicap, la plupart du temps sans nous et contre nous.
Jusqu’ici ces mesures ont maintenu la plupart d’entre nous en marge de la société, dans une situation d’assujettissement et de grande précarité.
Il nous apparaît donc impératif de nous fixer comme objectif de définir et dénoncer nous-mêmes l’oppression que nous subissons et de nous affranchir de tous les préjugés et contraintes sociales validistes qui nous entravent, et ce d’où qu’ils proviennent : entourage familial, ami·e·s, proches ou associations gestionnaires.
Nous savons que les personnes valides, qu’elles soient familières ou non des situations de handicap, peuvent être des alliées, cependant nous ne les laisserons en aucun cas s’approprier notre parole et notre combat, et elles ne prendront aucune part au processus décisionnel et organisationnel de ce collectif.
L’inscription de notre combat dans une logique intersectionnelle
Notre lutte et nos réflexions sont intersectionnelles.
D’une part, nous avons parfaitement conscience que les personnes handicapées peuvent subir plusieurs formes de dominations et de discriminations à la fois.
D’autre part, nous sommes solidaires de toutes celles et ceux qui luttent contre d’autres motifs de rejet ou toute autre forme d’oppression et de discriminations.
Notre combat est par conséquent et nécessairement féministe, antiraciste, anticapitaliste, anti-impérialiste, anticolonialiste et internationaliste.
Il est notamment incompatible avec le patriarcat, la xénophobie, le racisme, l’islamophobie et l’antisémitisme, la romophobie, l’homophobie, la lesbophobie ou la transphobie (liste non exhaustive).
Nous rejetons toute idéologie de hiérarchisation des populations et de stigmatisation d’où qu’elle provienne, qu’elle soit incarnée par l’extrême droite ou tout autre parti politique.
Nous soutenons les initiatives autonomes de convergence des luttes entre opprimé·e·s à condition qu’elles soient compatibles avec le présent manifeste.
La dénonciation du rôle des associations gestionnaires
En France, dans le domaine du handicap, il existe un tissu associatif particulièrement dense qui va de la petite association dédiée à un type de handicap et/ou de maladie en particulier, à des structures associatives de taille conséquente déployées sur tout le territoire.
Ces dernières, dites « associations gestionnaires », sont spécialisées par type de handicap et gèrent de nombreux services et établissements subventionnés par l’État (établissements spécialisés pour enfants et adultes, services d’aide par le travail, entreprises adaptées).
Les textes reconnaissent aux plus importantes d’entre elles un rôle de représentation des personnes handicapées qui les amènent, d’une part à siéger dans toutes les instances nationales et locales consacrées au handicap, aux côtés des pouvoirs publics, d’autre part, à être informées et consultées sur tous les projets de textes relatifs au handicap.
Depuis plus d’un demi-siècle, l’État a délégué à ces associations, qui sont devenues de véritables institutions, les intérêts des personnes handicapées.
Or, après toutes ces années, les associations gestionnaires ont amplement démontré les limites de leurs actions, si ce n’est leur inefficience, et leur complaisance vis-à-vis du pouvoir.
En effet, en faisant le choix d’organiser et de structurer le système institutionnel et de faire de sa gestion leur principale activité, ces associations ont de fait participé à l’exclusion spatiale et sociale des personnes handicapées.
Au lieu de faire de notre émancipation et de la défense de nos droits une priorité et de jouer un véritable rôle de contrepouvoir, elles ont préféré devenir des partenaires de la puissance publique.
Au lieu de dénoncer l’incurie des politiques publiques en matière de handicap, elles ont choisi de réguler et de maintenir l’ordre social existant.
Leurs liens et leur dépendance financière vis-à-vis des pouvoirs publics sont devenus tels, qu’elles ne peuvent décemment prétendre remplir la mission de défense de droits dont elles se revendiquent.
De plus, la plupart de ces associations continuent à adopter dans leurs campagnes de communication une approche terriblement surannée et validiste du handicap, qui surfe sur les préjugés qui y sont attachés au lieu de les combattre.
De même, leurs actions sont encore axées autour d’une logique essentiellement caritative que nous dénonçons.
Enfin, ces associations qui sont historiquement pour la plupart des groupements de familles ou de proches de personnes handicapées, demeurent composées d’un nombre important de personnes non directement concernées par le handicap.
Pourtant elles captent la parole publique sur le handicap, dans les médias comme auprès des instances publiques.
Nous entendons par conséquent dénoncer l’inertie coupable et les faux-semblants de ces associations gestionnaires qui prétendent nous représenter et défendre nos droits mais ne se soucient en réalité que de leurs propres intérêts de gestionnaires.
Contrairement à ce que prétendent ces associations pour désamorcer toute critique de leurs actions, notre discours n’a pas pour objet de diviser les personnes handicapées entre elles mais à l’inverse de les réunir autour de revendications à la hauteur de leur aspiration légitime à mener une vie autonome.
Nous affirmons qu’aucune avancée sérieuse et durable dans le domaine du handicap ne pourra se faire sans poser clairement la question du rôle, de la légitimité et de l’action des associations gestionnaires et sans l’organisation d’une lutte autonome vis-à-vis de ces dernières.
Le caractère politique de notre lutte
Contrairement à ce que soutiennent depuis des années les associations gestionnaires, le handicap n’est pas un sujet « apolitique ».
La place réservée aux personnes handicapées s’inscrit inévitablement dans un projet de société.
En ce sens, il ne fait aucun doute que le système économique capitaliste, qui exacerbe l’individualisme, valorise principalement la concurrence et le profit, creuse les inégalités et concentre les pouvoirs entre les mains d’une minorité, impacte de façon négative les politiques menées dans le domaine du handicap.
Les politiques d’austérité menées au nom de cette logique, notamment en Europe, ont d’ailleurs confirmé qu’elles n’avaient que faire des droits des personnes handicapées et ont conduit à détériorer leurs conditions de vie, partout où elles ont été appliquées.
Notre combat est donc politique dans la mesure où nous savons qu’il est indissociable de celui qui vise à transformer en profondeur la société pour restaurer la justice sociale et l’égalité.
Pour autant nous ne sommes le jouet d’aucun parti politique en particulier, et ne sommes pas encarté·e·s.
Nous savons, par ailleurs, que parmi ceux et celles qui devraient apparaître comme des allié·e·s politiques naturels, beaucoup se désintéressent de notre condition quand ils ou elles ne font pas preuve d’une méconnaissance crasse de nos difficultés réelles.
Force est, en effet, de constater qu’aucune organisation politique, y compris à gauche, ne s’est montrée jusqu’ici capable de se départir d’une vision humanitaire, compassionnelle, voire caritative du handicap, pour l’envisager comme un sujet politique et social à part entière, et élaborer des propositions à la hauteur des enjeux en présence.
Comme toute chose en ce « bas monde », ce manifeste est imparfait et incomplet.
Il a sans aucun doute vocation à s’enrichir, dans le respect de ses principes fondateurs.
Il définit néanmoins les éléments de base autour desquels nous avons décidé de nous regrouper.
La lutte anti-validiste est une lutte d’émancipation Cécile Morin
Texte publié initialement sur Mouvements.info en octobre 2021
Cécile Morin est doctorante en histoire contemporaine et porte-parole du
CLHEE (Collectif Lutte et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation).
Elle revient dans ce texte sur la nécessité d’une politisation pleine et
entière de la question du handicap et sur l’impératif d’une prise en
charge de cette question par les principaux·ales concerné·es
elleux-mêmes.